Lester Young

Naissance

27 Août 1909, Woodville, Mississippi, United States

Biographie

Après le « Roi », le « Duc » et le « Comte », voici le « Président » du jazz : personnage à la fois atypique, décalé et tragique, Lester Young est l’une de ces étoiles plus ou moins filantes du jazz, parties trop tôt à force de trop danser avec certains feux intérieurs. Saxophoniste dandy, compère inséparable de Billie Holiday, Lester Young a, au cours de son existence brûlée, contribué à définir une bonne partie de l’imagerie couramment associée aux jazzmen.

C’est à Woodville (Mississipi), petite ville au fin fond du sud des Etats-Unis, que Lester Willis Young paraît le 27 août 1909. Lester n’en est pas pour autant un enfant défavorisé : son père est un enseignant, faisant plutôt partie de la petite bourgeoisie noire, qui élève ses enfants dans l’amour de la musique. Lester apprend très tôt à jouer de divers instruments (saxophone, trompette, violon) et participe à un orchestre formé de membres de sa famille, qui se produit lors des fêtes locales. Le jeune garçon grandit à la Nouvelle-Orléans, puis à Minneapolis où sa famille a déménagé.

Le Président de Kansas City

Il réalise plusieurs tournées avec l’orchestre familial, auquel participe également son jeune frère Lee (batteur) ; mais, mal à l’aise dans les états du sud où des législations ségrégationnistes sont encore en vigueur et ayant des relations tendues avec son père, il finit par se décider à tenter une carrière professionnelle solo, s’établissant bientôt à Kansas City. Les premières années du parcours en solitaire de Lester Young sont marqués par des participations à un grand nombre d’ensembles musicaux : en 1932, il rejoint l’orchestre The Thirteen Original Blue Devils, avant de partir l’année suivante pour la troupe de Bennie Moten. Cette même année, il change encore, rejoignant l’orchestre de Count Basie : il se fait rapidement remarquer par son style d’interprétation atypique, jouant du saxophone de manière détendue, en adoptant souvent des attitudes nonchalantes, et en tenant son instrument de travers, presque à l’horizontale. Il se fait également remarquer par sa personnalité excentrique, et l’emploi d’un argot assez étrange de son invention, tenant un peu du sabir, qui contribue vite à faire sa réputation dans le milieu de la musique. Young fait quelques infidélités à Count Basie, rejoignant des orchestres concurrents (celui d"Andy Kirk, et celui de Fletcher Henderson où il remplace Coleman Hawkins), mais finit en 1936 par revenir à l’ensemble musical du « Comte ». Suivant la tradition de la « royauté du jazz », qui veut que les musiciens vedettes se voient attribuer des sobriquets prestigieux (« King », « Duke », « Queen », etc.), Lester Young reçoit le surnom de « Pres » (ou « Prez »), diminutif de « Président », qui semble lui avoir été attribué, à une époque indéterminée, par Billie Holiday.

Le retour de Lester Young au sein de l’orchestre de Count Basie coïncide avec son accès à une véritable notoriété : se sentant plus à l’aise que dans l’orchestre de Fletcher Henderson où on lui demandait trop d’imiter Coleman Hawkins, bien qu’y étant un peu moins bien payé, il s’épanouit davantage chez Count Basie et devient rapidement l’un des jazzmen les plus renommés de Kansas City, qui s’affirme à l’époque aux Etats-Unis comme l’une des capitales du Jazz. Les duos de Lester Young et Herschel Evans, au sein de la troupe de Basie, deviennent légendaires. Lester Young réalise avec Count Basie une série de séances d’enregistrement de grand renom, notamment les légendaires Kansas City Sessions (qui furent, malgré leur titre, enregistrées à New York), jouant tant du saxophone que de la clarinette. A la fin des années 1930, il partage ses collaborations entre l’orchestre de Count Basie, l’accompagnement de Billie Holiday et d’autres ensembles. A la fin de la décennie, il participe à des concerts au Carnegie Hall et se distingue en se livrant à des cutting contests (sorte de duels musicaux) dont certains, comme celui contre Chu Berry qu’il bat haut la main sur le terrain des improvisations musicales, rentrent dans la légende. S’étant fait voler sa clarinette en 1939, il perd le goût de l’instrument, et se concentre sur son saxophone.

Départs et déprimes

Lester Young quitte à la fin de 1940 l’orchestre de Count Basie, pour des raisons un peu obscures : selon certaines rumeurs, sa superstition l’aurait conduit à refuser de jouer avec la troupe un vendredi 13, entraînant la colère de Basie. « Prez » Young joue ensuite dans plusieurs autres orchestres, collaborant notamment avec Dizzy Gillespie, Red Callender ou Al Sears, mais aussi avec son frère cadet Lee Young, devenu lui-même un batteur réputé. Il réalise au cours des années 1940 un série d’enregistrements, accompagnant fréquemment Billie Holiday. Sa collaboration avec Nat King Cole donne lieu à des sessions très réputées. En 1943, Count Basie se réconcilie avec Lester Young et l’accueille à nouveau dans sa troupe, mais le retour du dandy saxophoniste, s’il donne lieu à quelques excellents enregistrements, est bref : en 1944, Young est mobilisé et doit partir pour l’armée. Le musicien apprécie particulièrement peu son incorporation, qui lui impose une coupure dans sa carrière, et tente par tous les moyens d’être démobilisé, revendiquant notamment sa consommation de marijuana.

En vain : il ne parvient qu’à se faire très mal voir de ses supérieurs, et à perdre toute possibilité de participer à l’orchestre militaire, auxquels les musiciens blancs ont automatiquement accès. Lester Young a également la malchance de tomber sur un officier raciste, qui s’emploie à lui rendre insupportable son séjour à l’armée, redoublant de vexations quand il apprend que le musicien noir est marié à une femme blanche. A force de persécutions, Lester Young est amené devant la cour martiale pour des raisons douteuses, son supérieur essayant de le faire condamner à un an de prison : profondément déprimé, Young se défend à peine, et se voit finalement condamné à un an de détention, qu’il effectue entièrement. A sa libération en 1945, Lester Young est au fond du trou, psychologiquement brisé : il remonte la pente, mais ses interprétations musicales s’en ressentent, devenant plus mélancoliques et s’orientant de plus en plus vers les ballades. Désormais, Young boit beaucoup et mange peu, des défauts qui ne font que s’accentuer avec les années.

Auto-destruction

Il n’en reprend pas moins le chemin des scènes et des studios et connaît de très beaux moments, notamment grâce à ses enregistrements avec Nat King Cole. En 1945, il commence à enregistrer pour le label Aladdin Records, collaborant à des musiciens renommés comme Vic Dickenson ou Joey Albany. Une autre occasion de rebondir lui est fournie en 1946 quand il rejoint la troupe des tournées Jazz at the Philarmonic, organisés par Norman Granz, pape des promoteurs du Jazz en Amérique du Nord. Ses participations à la fin de la décennie aux concerts JATP sont considérés par beaucoup comme un des plus hauts points de sa carrière. Mais, à partir du début des années 1950, Lester Young entre dans une spirale mortifère, tenaillé par des problèmes aussi bien physiques (sa consommation d’alcool va en s’aggravant) que psychologique (ses tendances dépressives sont toujours aussi persistantes). Si ses interprétations s’en ressentent parfois, il n’en demeure pas moins un pilier de Jazz at the Philarmonic, dont il suit les tournées américaines et européennes, et son style de swing traditionnel continue d’influencer grandement les nouvelles générations de jazzmen.

En 1955, il est hospitalisé pour dépression nerveuse : sortant au début de l’année suivante, il paraît requinqué, participant à des sessions mémorables pour le compte de Norman Granz et réalisant une tournée européenne avec Miles Davis. Mais ses habitudes mortifères reprennent bientôt le dessus, une consommation abusive d’alcool s’ajoutant à une alimentation de plus en plus insuffisante. Le 8 décembre 1957, son état physique alarmant est remarqué par tout le public américain lors de l’émission de télévision The Sound of Jazz, au cours de laquelle il se produit aux côtés de vedettes comme Billie Holiday et Coleman Hawkins : Lester Young est le seul à jouer assis sur une chaise, bien qu’il réussisse à se lever pour interpréter (brillamment) son solo. De plus en plus affaibli, Young n’en continue pas moins à se produire, bien qu’étant de plus en plus faible et commençant à manquer de souffle.

Au début de 1959, il réalise une tournée européenne, qui s’achève à Paris par une prestation au Blue Note, avec Kenny Clarke : durant son séjour sur le vieux continent, il boit sans discontinuer et ne mange quasiment rien. Après un ultime enregistrement dans la capitale française, Lester Young reprend l’avion pour les Etats-Unis et atterrit à New York le 15 mars 1959. Quelques heures après son retour, il succombe à un arrêt cardiaque. Sa mort et celle, quelques mois plus tard, de sa complice Billie Holiday, viennent alimenter la légende tragique du Jazz et de ses musiciens consumés par les feux de la rampe. Au-delà de l’imagerie, il reste de Lester Young l’héritage d’un jazz « cool » et distingué, ayant influencé le style détendu et relaxé de nombreux artistes et symbolisant à merveille une certaine vision de l’univers artistique de la première musique authentiquement américaine.