Isaac Hayes

Naissance

20 Août 1942, Covington, Tennessee, United States

Biographie

Rarement artiste, en éminent représentant de la musique populaire noire américaine, a couvert autant de registres durant sa carrière : animateur de radio, pilier de la première écurie du label Stax, musicien de studio, arrangeur, compositeur (entre autres des plus grands succès de Sam & Dave), acteur, Isaac Hayes, né au milieu du siècle dernier, connaîtra également un extraordinaire parcours en tant que chanteur de soul music – l’étourdissant Hot Buttered Soul en 1969, et se verra gratifié d’un Oscar de la meilleure musique de film pour la partition de Shaft (1971), standard du genre blaxploitation. Il reste l’égal d’Otis Redding, James Brown, et Stevie Wonder. Il est décédé le 10 août 2008.

Isaac Hayes voit le jour le 20 août 1942 à Covington (à une quarantaine de kilomètres au sud de Memphis, Tennessee), dans une famille de métayers. Très précocement orphelin (son père l’a abandonné dès le décès de sa mère, alors qu’il n’est âgé que de dix-huit mois), sa sœur Willette et lui sont élevés par ses grands-parents, Willie et Rushia Addie-Mae Wade, et le petit garçon s’initie, en véritable autodidacte, à divers pupitres (saxophone, piano et orgue). La famille vit modestement (un sac de farine pouvait durer plusieurs mois), et presque en autarcie, mangeant ce que le grand-père rapporte de ses parties de chasse.

Après un déménagement à Memphis à l’âge de sept ans (l’aïeul est engagé dans une conserverie de tomate, mais décède peu après, victime du rythme de la ville), où il découvre pour la première fois à quoi ressemble un supermarché, il s’intègre à diverses formations (Morning Stars – où il s’initie au gospel - Sir Calvin & his Swinging Cats, Sir Isaac & the Doo-Dads – tout sur le doo wop sans avoir jamais osé le demander - , The Teen Tones). Il enregistre alors quelques disques confidentiels pour de modestes labels locaux. Mais la pauvreté le poursuit : pour rapporter quelque argent au foyer, il assure des petits boulots de plongeur, puis d’aide cuisinier, ou de chauffeur de bus scolaire. Il interrompt sa scolarité car ses vêtements déchirés le complexent : ses professeurs, convaincus de son potentiel, se mobilisent, et se cotisent pour renouveler sa garde-robe. Hayes obtient finalement ses diplômes de fin d’étude, et conserve sa vie durant la plus parfaite reconnaissance pour les enseignants en particulier, et l’éducation en général.

Il se marie en 1961 avec sa fiancée, tout simplement car elle est enceinte. Il partage alors ses activités entre une usine agroalimentaire de la ville, et les clubs où il déploie en soirée ses talents de saxophoniste et de pianiste.

Isaac Stax

C’est en 1964 qu’Isaac Hayes intègre l’équipe de Stax Records (créée par les frère et sœur Jim Stewart et Estelle Axton en 1957, et alors la plus importante firme discographique de soul music, simplement concurrencée par la Motown de Berry Gordy, de deux années sa cadette). Il entame immédiatement une collaboration suivie avec le saxophoniste baryton des Mar-Keys Floyd Newmann, et est appelé sporadiquement à remplacer le claviériste Booker T. Jones au sein de Booker T. & the MG’s. C’est en ces occasions qu’il accompagne à plusieurs reprises Otis Redding (ce sont en fait les premières séances où Isaac Hayes est rémunéré comme musicien professionnel).

Hayes constitue alors avec le parolier David Porter (un ami d’enfance avec lequel il renoue pour l’occasion) le duo qui portera très haut les couleurs de Stax. Les deux composent en effet le « B-A-B-Y » de Carla Thomas, créent des arrangements novateurs pour le compte de Johnnie Taylor ou Rufus Thomas, et, surtout, écrivent les plus célèbres tubes du duo Sam and Dave (« When Something is Wrong With My Baby », « Hold On I’m Comin’ », ou « Soul Man »)…pour un total de deux cents chansons portant leur griffe mutuelle.

En 1967, Hayes prête une plus grande attention à sa propre carrière en éditant Presenting Isaac Hayes, toutefois sans grand succès. L’album, enregistré la nuit (lorsque le studio est inoccupé) est un disque de jazz rassemblant deux MG’s, le batteur Al Jackson et le bassiste Donald Duck Dunn. Amer, Hayes se promet de n’enregistrer de nouveau que si on lui en donne les moyens.

Le 4 avril 1968, Isaac Hayes a rendez-vous avec Martin Luther King. Le leader des droits civiques est assassiné ce jour-là, et le musicien en concevra une très profonde détresse, révolté par le sort réservé à son peuple dans l’histoire de l’Amérique.

Isaac en solo

A l’été 1969, l’album Hot Buttered Soul est un triomphe : constitué de quatre morceaux hypnotiques étirés à l’extrême, enregistré en compagnie de membres des Bar-Kays, premier album de soul music élaboré comme tel, et non en tant que simple collection de singles, premier des charts des semaines durant, le disque se vend à plus d’un million d’exemplaires. A partir de cet instant, et jusqu’en 1980, il ne se passe pas une semaine sans un album d’Isaac Hayes classé dans les meilleurs ventes américaines.

Deux albums sont édités en 1970 : The Isaac Hayes Movement (numéro 1, entraîné par le single « I Stand Accused »), et To Be Continued (encore numéro un, incluant la version originale d’ « Ike’s Rap »).

En 1971 sort l’album Black Moses (numéro un, toujours). Hayes a d’ores et déjà imposé une apparence immédiatement identifiable, à base d’énormes chaînes en or (à la fois symbole de sa réussite sociale, et des origines de ses ancêtres, esclaves africains), crâne rasé, larges lunettes noires, et vêtements extravagants déclinant paillettes et plumetis.

La même année, la bande originale du film Shaft de Gordon Parks (archétype de la blaxploitation, courant culturel caractéristique du cinéma américain des années 70, visant à donner une image positive, et non plus de faire-valoir, aux afro-américains), atteint la première place des hit-parades, pour la première fois de l’histoire, à la fois pop, et rhythm and blues. Même s’il est déçu de ne pas avoir, contrairement à ses attentes, obtenu de rôle dans le film, Hayes est à cette occasion gratifié d’un Oscar, et de trois Grammy Awards. La guitare wah-wah et le rythme irrépressible, caractéristiques du générique, font alors le tour du monde.

Isaac au cinéma

En 1973, est édité l’album Joy. La même année, Hayes compose la musique du film Three Tough Guys (dans lequel il incarne un personnage peu recommandable, et très imbu de sa virilité). Cette partition sera suivie l’année suivante de celle de Truck Turner (où il obtient également un rôle), film de Jonathan Kaplan.

En 1975, Chocolate Chip traduit un net virage vers le disco. Les albums au tempo frénétique se succèdent par ailleurs avec une fièvre identique (Disco Connection, Groove-A-Thon, Juicy Fruit (Disco Freak), clairement destinés à la clientèle de discothèque. La même année, le musicien, en conflit ouvert avec Stax pour des problèmes de niveau de royalties et de non paiement de droits, monte son propre label (Hot Buttered Soul), mais dépose le bilan l’année suivante. Hayes est alors contraint de vendre sa Cadillac Eldorado en or massif (on peut aujourd’hui l’admirer au Soulville Museum de Memphis).

En 1977, un album enregistré en duo avec Dionne Warwick, A Man And A Woman, revivifie sa carrière. Ses albums suivants s’intitulent New Horizon, For the Sake of Love, et Don’t Let Go, conséquents d’un contrat (Polydor), et d’un regain de forme du compositeur.

En 1979, il enregistre une série de duos avec Millie Jackson (Royal Rappin’s). L'année suivante, son nouvel album s’intitule And Once Again. Lifetime Thing sort en 1981. On peut le voir la même année dans le rôle du Duc de New York dans le film New York 1997 de John Carpenter, et Hayes se consacre également à la production (de Linda Clifford, également produite par Curtis Mayfield).

Après une pause, un nouvel album est produit en 1986, intitulé U-Turn, et alimenté de messages violemment anti-crack. Deux années plus tard est édité Love Attack.

Puis Hayes met de nouveau sa carrière par parenthèses, pour mieux se consacrer à sa famille, et à sa carrière d’acteur (on peut le voir dans un épisode de Miami Vice, et il traverse le Robin des Bois de Mel Gibson).

Isaac en Afrique

Il se convertit à la scientologie en 1995, et sort coup sur coup deux albums : Branded, ainsi que l’instrumental Raw and Refined. La même année, il intègre la famille royale du Ghana, sous le nom de Ocansey I., finançant la construction d’un centre d’éducation, et d’un stade de football. D’autres activités annexes le conduisent à ouvrir des restaurants de soul food, et à éditer des livres de recettes de cuisine (Cooking with Heart and Soul). Il crée également la Isaac Hayes Foundation, dont la mission est la promotion de l’éducation, de la musique, et de l’enseignement nutritionnel.

A partir de 1997, il double la voix du chef cuistot Chief dans le dessin animé South Park. Il quitte la série neuf années plus tard, en conséquence d’un épisode tournant ouvertement en dérision ce que l’on considère aux Etats-Unis comme une église, et son fondateur, Ron L. Hubbard. En 1998, il figure au générique du film Blues Brothers 2000.

En 2000, il compose de nouveaux arrangements à valoir pour le compte du remake de Shaft (Samuel L. Jackson remplace Richard Roundtree dans le rôle-titre). Le marseillais Akhenaton fait appel à lui pour la composition de plusieurs chansons de la musique du film Comme un aimant.

En 2001, il participe activement à l’album Songs In A Minor d’Alicia Keys (et par la suite au Jardin Secret d'Axelle Red), et en 2002, il est honoré par le Rock and Roll Hall of Fame. Il participe en 2001 à la série télévisée Stargate SG-1. En 2005, il incarne Arnel dans le film Hustle & Flow, déclinaison cinématographique de la culture rap et hip-hop.

Il souffre dès 2006 de premières affections cardiaques. Il décède le 10 août 2008 à Memphis, à quelques jours de son soixante-sixième anniversaire. Transporté en urgence à l’hôpital de la ville, il n’a pu être réanimé. Il était père de onze enfants, âgés de seize à quarante-deux ans, et seize fois grand-père. A tous, il a offert leur poids en or.

S’il manquait visiblement à Isaac Hayes la fibre d’homme d’affaires, il reste l’un des plus émérites artisans de la soul music, un père fondateur de la disco et du rap, et un personnage tout à fait exceptionnel d’un art fédérateur. En statut du commandeur de la culture noire, en icône d’un réussite nourrie de sens, en méchant de cinéma, ou chanteur de charme, il reste le plus extravagant, et le plus talentueux, des compositeurs de soul music du siècle dernier. Son influence reste déterminante, et ce jusque dans les productions actuelles.