Biographie
Take A Mic est un stakhanoviste. Parce qu’il a beaucoup de choses à dire. Il n’est pas un porte-parole ni un leader. Il laisse ça aux autres. Son truc à lui, c’est plutôt d’écrire le monde tel qu’il le voit et le ressent. C’est de mêler les émotions pour ne pas oublier qui il est et ce qu’il vit. “MH volume 1”, “MH volume 2”, “Résolutions”, “Évolution”, “MH volume 3”, “Bipolaire”, “Boîte Noire”, “Avant-Gardiste” (son premier album), “Street Minimum”, “Inaccessible”, sans compter ses projets avec son ancien groupe Eddie Hyde. En attendant “Inaccessible 2” et un album pour l’automne chez Poly-dor. Oui, Take A Mic travaille dur. Sans jamais mettre la charrue avant les bœufs. Il sait que le temps est un allié quand on ne le maltraite pas.
C’est le hip hop américain qui l’a d’abord séduit, adolescent. Quand on écoute ses titres, c’est très vite une évidence. Take A Mic est artistiquement ambitieux et ne s’interdit rien. Comme de l’autre côté de l’Atlantique. Il ne veut pas de chapelle, de clichés, de voie sans issue, il veut tout sonder, tout goûter, le rap n’est pas une fin en soi, c’est un préalable, une porte qui s’ouvre, un horizon qui se précise. Take A Mic est amoureux. De la musique, de sa musique. Et comme tout amoureux qui se respecte, il ne veut rien galvauder, rien gâcher, rien précipiter. L’impatience n’appartient qu’au usurpateurs et aux frileux, aux sans-talent et aux opportunistes. Lui a compris qu’un artiste devait, pour conquérir l’avenir, d’abord enlacer le passé, connaître ses aînés, ses racines. Déjà pour ne pas bégayer l’Histoire, aussi pour avancer sans entrave ni œillère. Comment, à seulement 26 ans, peut-on être si lucide ? Peut-être parce qu’on a toujours eu une longueur d’avance.
Avant même de se rêver artiste. Take A Mic a glané son nom de scène dans les rues de New York, du côté de Harlem, un jour de vacances scolaires, accompagné de son père. Il a neuf ans. À l’époque, les rues de Big Apple résonnent du “One Mic” de Nas, où il dit que pour créer, il ne faut presque rien. Un micro, un beat, une scène, une seule personne en face de lui… Le gamin du 94 est saisi par cette mélodie indélébile. Il la murmure en marchant. Un homme l’interpelle en anglais : « Hey, kid, take the mike! » Voilà. Il ne le sait pas encore mais son destin vient de s’enclencher. Avant même son premier flow, son premier texte. L’histoire est belle et a l’avantage d’être vraie.
« Je préfère quelqu’un qui va tenter d’explorer musicalement différents flow, différentes influences, qui va s’essayer à plein de choses qu’un mec qui va rester dans une case, qui ne va pas évoluer dans sa manière de faire de la musique. Quand tu sais rapper, chanter, tu n’as pas le droit de t’enfermer dans une formule. C’est du gâchis ! Un artiste, ça doit oser, chercher, découvrir, se surprendre, se mettre en danger… Pour moi aujourd’hui, les freestyles, c’est une façon de décompresser, de m’amuser, aussi de donner du contenu. Le freestyle, je sais faire, j’ai déjà prouvé. C’est un entraînement pour moi maintenant. Une façon de m’améliorer, d’améliorer mes futurs morceaux. J’ai envie de plus. » dit-il.
Quand on parvient à éradiquer la trouille, on peut regarder le ciel sans se perdre. Take A Mic peut parler des heures durant de ses chansons. À l’inverse de pas mal de ses collègues de micro, il est à sa place parce qu’il est un créateur. Un vrai. Si les euros pleuvent, il les prendra, pas de souci. Mais sa passion dépasse le simple cadre financier. Quand on écoute la musique de Take A Mic, on se dit que rap faussement social et vraiment libéral a peut-être vécu. Que le temps est venu pour autre chose, pour des titres plus viscéraux, plus habités, à l’identité plus affirmée. Quand on entend Take A Mic, on sent qu’il se passe quelque chose de nouveau. En tout cas quelque chose d’indompté, de libre, de fier et de fort. On comprend qu’il pourra bientôt tout se permettre artistiquement. On devine un mec qui a choisi de donner beaucoup, sans jamais se soucier des conséquences. N’est-ce pas là l’exacte définition d’un artiste ? Il peut encore expliquer en long en large et en travers les spécificités de langage et de comportement des gars du 94, là où il a grandi et appris la vie, après une naissance dans le 76, à Rouen. Il est intarissable. Son sens de l’observation est en permanence aux aguets. Il voit ce que les autres ne regardent même plus. Il a compris que c’est dans les détails presque invisibles que se raconte l’humanité, qu’elle soit lumineuse ou monstrueuse. Et avant même la musique, il y a eu l’apparence. Le look. La manière de se présenter au monde. Ce n’est chez lui pas une vanité ou simplement une volonté dandy de briller mais plutôt d’affirmer une différence, la même qui lui permet d’enregistrer ces titres racés et pas comme les autres.
À douze ans, les mecs de sa cité le voient se promener avec des vestes affichant des têtes de mort avec des strass. Ils ne comprennent pas. Ils mettront les mêmes deux ans plus tard, pendant que Take A Mic, lui, sera déjà passé à autre chose. Il se sape comme il respire. Loin des évidences et des habitudes. Il ne copie pas, ça ne l’intéresse pas. Il préfère deviner les lendemains. Devancer l’inconnu. Cela nécessite quand même une certaine classe naturelle. N’importe qui peut aller se fournir chez Prada ou Chanel. Après, le porter bien, c’est une autre affaire… D’être différent impose également une certaine solitude. « J’ai toujours été différent, j’ai toujours été jugé et je n’en veux à personne. Mon but, ce n’est pas de gueuler partout que je suis le meilleur, le premier, non ! C’est plutôt de dire à tout le monde que tout est possible. Que tu peux être accepté et fort malgré tes différences ! Il faut apprendre à dépasser la peur. » Quand il rappe, Take A Mic dégage une élégance indiscutable, même quand il balance les punchlines les plus hardcore. Il a ça en lui. On ne le refera pas et c’est tant mieux. « T’as pas besoin aujourd’hui de venir d’un quartier pour faire du rap. Hé gros, tu te cales sur la prod, ton texte, il est lourd, t’as des punch, t’as des choses à exprimer, t’as le droit de rapper. Il ne suffit pas d’avoir une histoire triste et un lieu de naissance qui craint. En terme de musique, tu dis quoi ? » Voilà ! Take A Mic a tout compris. Le rap est un art comme les autres en 2020. Aux excuses sociétales et à la géolocalisation prétexte, il faut désormais privilégier le talent et la vision. Deux choses dont Take A Mic ne manque assurément pas. Et c’est encore un euphémisme. Son public ? Des filles, des mecs, en prison ou pas, à l’armée ou au travail. Il touche tous ceux qui ont besoin de titres sincères, percutants, aux ambiances variées. “Hun”, “Mon Blaze sur la Balle”, “Ma Peine”, “Kush”, “Le Moment”, “Culiacan”, tous ses titres dévoilent un univers à chaque fois revisité. Take A Mic brouille les pistes, frappe là où ne l’attend pas, surprend par une phrase qui déchire les certitudes. C’est assez impressionnant.
Et il y a donc “À l’Envers”, avec un feat de Chanceko, qui tourne ces dernières semaines. C’est un egotrip qui devient autre chose au fur et à mesure que progresse le morceau. Take A Mic se livre ici, encore, et sa principale force, c’est qu’en parlant de lui, il parvient à parler à et de tout le monde. N’importe qui pourra se reconnaître dans ce titre, à condition de lâcher prise. De dépasser les clichés qu’on a stocké paresseusement dans nos têtes. Avant la musique, il y a eu le football dans l’existence de Take A Mic. Milieu gauche qui promettait beaucoup. Créateur. Celui qui a de quoi casser les lignes et inventer pour faire trembler les filets adverses. Aujourd’hui, il ne fait pas autre chose finalement. Take A Mic a de quoi dribbler bien des défenses, bien des résistances. Et aux trophées clinquants, il préfèrera toujours la beauté du geste. « L’art est le propre de la vie » écrivait Nietzsche. Take A Mic est furieusement vivant.