Gloria Lasso

Nom de naissance

Rosa María Coscolin

Naissance

25 Novembre 1922, Spain

Biographie

Idole des années 1950, Gloria Lasso illustre fort bien l’inépuisable attrait des artistes exotiques sur le public français, mais également la cruauté avec laquelle la roue peut tourner, emportant les renommées que l’on pensait les mieux établies. Une carrière aujourd’hui un peu ensevelie sous la poussière du temps, mais ressuscitée sur le tard grâce à un revival kitsch.

Gloria à la radio

L’espagnole Rosa María Coscolín Figueras, future Gloria Lasso, naît le 25 novembre 1922 à Vilafranca del Penedes (Province de Barcelone, Catalogne). Dotée d’une voix mélodieuse, la petite fille fait la joie de sa famille en interprétant les cantiques à Noël. Le cercle des admirateurs de Rosa María, qui commence à travailler comme assistante dans un cabinet médical, aurait pu ne pas dépasser le cadre familial, mais une bonne fée en décide autrement. A l’âge de 18 ans, la jeune femme remporte un concours pour devenir animatrice de radio et remplacer une vocaliste tombée malade, faisant ainsi profiter de son timbre roucoulant les auditeurs catalans. La jeune chanteuse n’en oublie pas pour autant son goût pour la scène et se produit parallèlement dans les salles des fêtes de Barcelone, accompagnée à la guitare par son époux de l’époque, Guillermo Lasso, dont elle gardera le nom durant toute sa carrière. En 1949, elle monte à Madrid et continue de se produire dans les clubs. C’est dans la capitale espagnole qu’elle fait la connaissance de Jacques Trémoulet, responsable de Radio Andorra, qui émet en espagnol et en français dans le monde entier : c’est donc notamment par le biais de la puissante radio de la principauté d’Andorre que les chansons de Gloria Lasso deviennent familières du public des deux côtés des Pyrénées, au début des années 1950.

Fréquemment diffusées au Programme à la carte de midi (une émission de Radio Andorra permettant de dédicacer la chanson de son choix), les titres de la chanteuse espagnole sont particulièrement prisés des familles, qui usent volontiers de leur registre gai et sentimental pour adresser des messages d’affection. Particulièrement promue par Radio Andorra, Gloria Lasso bénéficie des conseils de Publi-Ondes, l’agence de publicité de la station. En 1954, la chanteuse franchit le Rubicon et entreprend de se concentrer sur le marché français, plus rentable que l’espagnol : elle débarque à Paris et se produit dans les cabarets ibériques de la capitale. C’est dans une de ses salles, La Puerta del Sol, qu’elle est remarquée par le producteur Maurice Tézé, qui la prend sous son aile chez Pathé : Gloria Lasso est lancée sur le créneau des chanteuses à l’exotisme latin, dont la reine fut, en France, l’italienne Rina Ketty. Très amie avec Josephine Baker, elle bénéficie pour réussir en France des conseils de sa collègue américaine. Surnommée « le Rossignol madrilène » – ce qui fait peu de cas de ses véritables origines catalanes – Gloria Lasso s’impose rapidement auprès du public français, qui apprécie autant sa belle voix à l’accent chantant que son charme et sa bonne humeur.

« Etrangère au Paradis »

Chantant sur un registre de variété sympathiquement enjouée, avec forces guitares et castagnettes, elle devient grâce à des titres comme « ¿ Hola Que Tal ? » ou « Amour, castagnettes et tango », une vedette du music-hall français. Mais c’est notamment grâce à l’immense succès de « L’Etranger au Paradis » alias « Etrangère au Paradis » sur un thème de l'opéra Le Prince Igor de Borodine (et d'après « Stranger in Paradise » de Tony Bennett, adapté en français par rien moins que Francis Blanche) que Gloria Lasso s’impose en 1955 comme une vedette de premier plan ; la Catalane devient la première vedette du music-hall français à vendre un million de disques. En 1957, elle se produit à l’Olympia et à Bobino. En 1958, elle tient la vedette au Cirque Pinder. En 1959, c’est à nouveau Bobino. Les titres de Gloria Lasso se vendent en Italie, en Allemagne, au Canada, au Brésil, au Japon… Elle chante en duo avec Luis Mariano, l’autre roi de la roucoulade hispanisante (la chanson « Canastos ») et Francis Lopez lui écrit les titres « La Valse mexicaine » et « Le Pauvre muletier ». Les titres à succès se multiplient pour Gloria Lasso : « La Cueillette du coton », « Toi, mon démon », « Buenas noches, mi amor », « Histoire d’un amour », etc.

¡ Adios, guapa !

Mais à la fin de la décennie 1950, quelques nuages commencent à s’amonceler pour Gloria Lasso, en la personne d’une collègue qui va lui faire une concurrence de plus en plus sérieuse, jusqu’à en devenir fatale : l’italo-égyptienne Dalida, de dix ans plus jeune qu’elle, tend de plus en plus à s’imposer sur le créneau étroit des chanteuses latines à accent. La situation est d’autant plus préoccupante pour Gloria Lasso que les deux chanteuses ont un registre assez proche, Dalida ayant pour avantages, outre son âge, un surcroît d’exotisme et un style plus énergique et moderne. La presse populaire de l’époque ne manque pas de monter en épingle le duel des belles latines, Gloria Lasso n’hésitant pas à poser en photographie dans un magazine, une rapière à la main, pour signifier qu’elle attend Dalida de pied ferme. Si elle connaît encore de beaux succès (« Vénus », « Sois pas fâché », « Muchas gracias »), Gloria Lasso semble malheureusement vite dépassée, et tente de renouveler son répertoire : en 1962, elle se produit à l’ABC et interprète notamment des chansons de Serge Gainsbourg et de Gilbert Bécaud.

Mais les jeux sont faits et Dalida s’est définitivement imposée dans le cœur du public français : au milieu des années 1960, Gloria Lasso prend la décision de quitter la France dont le public lui est devenu moins accueillant. Elle opte pour un retour vers le marché hispanophone, en choisissant de s’établir, non dans son Espagne natale, mais au Mexique. Une décision qui va s’avérer heureuse, car le public mexicain l’adopte, lui rendant son statut de vedette. C’est à nouveau dans le registre romantique que Gloria Lasso va s’imposer dans son nouveau pays d’adoption, avec d’innombrables titres comme « Luna de miel », « La Mujer que te ama », « Baname de amor »… La quarantaine passée, la chanteuse réussit magistralement sa seconde carrière en s’imposant dans le créneau des interprètes sentimentales. Mais si cet exil sud-américain lui est bénéfique, son absence des scènes françaises va entraîner l’oubli : son abondante discographie mexicaine est largement ignorée du public hexagonal et une tentative de retour en France, au début des années 70, n’obtient pas le succès espéré. L’heure en France n’est plus aux espagnolades et Dalida elle-même s’est écarté du registre strictement latin.

L’éternel retour

Gloria Lasso effectue cependant plusieurs come-back, dont un passage à l’Olympia en 1985, année où elle publie également un livre de mémoires, Je plaide coupable. Les médias et le public français tendent désormais à considérer Gloria Lasso comme une has-been, alors que seuls ses mariages à répétition suscitent encore l’attention de la presse people. La vie privée de Gloria Lasso, qui aligne un nombre impressionnant d’époux (neuf selon certaines versions, six selon d’autres, alimentant une légende de « mangeuse d’hommes » qu’elle dément pour sa part) est en effet un sujet de plaisanteries plus ou moins fines, ressurgissant à chacun de ses retours en France, souvent au détriment de ses talents artistiques. Seules certaines émissions de variétés vouées à la nostalgie, comme celles de Pascal Sevran, lui déroulent encore le tapis rouge. Sympathique et pleine d’humour, Gloria Lasso prend ces quolibets avec distance et semble plutôt bien assumer son nouveau statut d’icône kitsch.

En 1988, à 65 ans passés, elle surprend quelque peu en posant « nue » (en réalité, légèrement court vêtue et exhibant un sein) dans le magazine Lui, ce qui peut apparaître, selon l’humeur, comme un joli défi au poids des ans, ou comme un moyen légèrement pathétique de faire parler d’elle. En 1990, elle se produit au Bataclan. Les médias se font également l’écho d’un nouveau mariage, avec un tout jeune homme : une union dont la chanteuse finira par avouer qu’il ne s’agissait que d’une imposture à but publicitaire. Récupérée par le milieu homosexuel qui apprécie son côté « glamour d’un autre âge », Gloria Lasso réalise un spectacle à la discothèque parisienne Le Queen, à l’occasion de la sortie de l’album Forever (1998). Un remix aux accents techno de « L’Etranger au Paradis » est proposé au public, Gloria en assumant vaillamment la promotion malgré son âge. En 2002, nouvel album, Amor Latino. Mais même les vétérans du show-biz au cuir tanné ne sont pas éternels : le 4 décembre 2005, quinze jours après un dernier récital, qu’elle avait interprété assise, Gloria Lasso meurt à son domicile de Cuernavaca (Mexique). D’une carrière trop tôt interrompue en France par une concurrence implacable, il nous reste l’image d’une musique enjouée et guillerette, à l’exotisme inoffensif, typique des années 1950, de l’esthétique de l’opérette et du music-hall à l’ancienne. Sans doute faut-il oublier les frasques sentimentales de Gloria Lasso et réhabiliter enfin un répertoire musical fleurant bon le temps de la chanson heureuse, de la joie de vivre et du romantisme sans complexes.