Sonny Rollins

Nom de naissance

Theodore Walter Rollins

Naissance

7 Septembre 1930, New-York, , United States

Biographie

Monstre sacré du jazz, Sonny Rollins, celui-là même qui a remplacé fort avantageusement l’accoutumance à l’héroïne par la surconsommation de saxophone au point de s’en déformer le visage, est l’homme de toutes les ères du jazz. Né en 1930 et contemporain de Miles Davis, Thelonious Monk, Clifford Brown ou Dizzy Gillespie, Sonny Rollins, l’homme qui choisit de ne sauver que son saxophone lorsqu’il lui lui faut évacuer son appartement new-yorkais le 11 septembre 2001, est l’un des géants du be-bop.

New-Yorkais jusqu’au plus profond des tripes, Theodore Walter Rollins voit le jour le 7 septembre 1930. Connaissant la pauvreté d’une famille de la classe moyenne noire, sa scolarité est au mieux médiocre et ses premières fréquentations sont loin de plaire à ses parents. Heureusement pour lui, un vif et précoce attrait pour le piano et surtout le saxophone (il se voit offrir son premier instrument à l’âge de treize ans) lui permet d’éviter de sombrer irrémédiablement dans la délinquance, même si ce talentueux voyou conserve pendant quelques années encore une certaine prédisposition pour les plans foireux et les mauvais coups.

S’il n’use pas très longtemps ses fonds de culotte sur les bancs de l’école, son passage au sein de l’institution scolaire lui permet de faire la connaissance de quelques futurs grands du jazz, avec lesquels il se lie d’amitié et commence à jouer : Kenny Drew et Jackie McLean sont ainsi ses condisciples de classe en plus de ses partenaires de scène. Faisant le tour des clubs de jazz, le trio se produit aux côtés de quelques artistes prestigieux comme Babs Gonzales, Bud Johnson ou J.J. Johnson. Plutôt libertaire, le milieu du jazz est très ouvert, voire interlope. L’alcool y coulait déjà à flot en pleine prohibition et les mauvaises habitudes sont restées, bien que le poison ait évolué. Désormais, cocaïne et héroïne ont pris le pas et Theodore Walter Rollins, qui évolue sous le sobriquet de Sonny, commence à devenir sérieusement accro au brown sugar, une accoutumance qui le pousse à commettre en 1950 un premier vol à main armée, pour lequel il prend trois ans à la prison fédérale de Rickers Island.

Libéré au bout de dix mois, il est cependant repris quelque temps plus tard pour consommation d’héroïne. L’histoire aurait pu s’arrêter là pour le jazzman, destiné à une vie de junkie dont on aurait un jour retrouvé le cadavre dans une ruelle sordide de New York, mais un profitable séjour en cure de désintoxication lui permet de se décrocher définitivement de la drogue.

Modern Jazz

Revigoré et bien décidé à en terminer avec ses démons, Sonny Rollins intègre, dès 1951, le Modern Jazz Quartet de Miles Davis et participe à l’enregistrement d’Oleo, tout en montant en parallèle son propre quintet : The Stars. Mais c’est surtout la rencontre et l’association avec Thelonious Monk qui lui donne son inspiration : l’album Thelonious Monk and Sonny Rollins devient un carton dans la catégorie be-bop dès sa sortie en 1954.

Désormais intégré dans le cercle très fermé des « grands » du jazz, Sonny Rollins peut se consacrer à une carrière fructueuse, jouant seul ou au sein de diverses formations. En 1955, il intègre le quintet de Clifford Brown et Max Roach, dont il devient le troisième pilier. Pris d’une frénésie d’enregistrement, il devient accro aux studios comme il l’était à l’héro et plusieurs albums sortent coup sur coup, soit sous son nom propre, soit en tant que membre du combo de Clifford Brown. Sonny Rollins Quintet, Work Time, Sonny Rollins Plays Jazz Classics ou Taking Care of Business font de Sonny Rollins l’un des principaux pourvoyeurs de titres de Prestige Records, sa maison de disques, même si, en bon jazzman indispensable qu’il est, le saxophoniste enregistre quelques albums au sein des studios prestigieux des mythiques Blue Note et Riverside.

Colossal Saxophone

Saxophone Colossus est le troisième album qu’enregistre Sonny Rollins en tant que leader, aux côtés de Max Roach, Doug Watkins et Tommy Flanagan et plus orienté calypso que les précédentes compositions be-bop. Tenor Madness voit Sonny Rollins revenir aux côtés de son vieux complice Miles Davis et souffler dans son saxophone aux côtés de John Coltrane.

Tentant des expérimentations sur toutes les gammes du jazz, l’homme se lance dans quelques thématiques aux frontières du be-bop classique comme « Way Out West » ou « A Night at Village Vanguard » qui voient Sonny Rollins parfois partir dans de longs solos de saxophones, juste accompagné par une basse jouant de manière répétitive et se contentant d’illustrer les fractales sonores produites que le musicien tire de son saxophone.

Il est régulièrement appelé par d’autres combos pour les faire profiter de ses capacités de jeu spontané. Excellent improvisateur, mais capable, en outre, de tenir sur de très longues périodes, il enregistre, en 1958, l’album The Freedom Suite, sur lequel il tient un solo près d’une vingtaine de minutes, se référant très peu à la partition et modifiant les notes dès qu’il « sent » que celles-ci sont perfectibles. Les autres musiciens ont certes du mal à suivre, mais ce très long solo reste, à ce jour, dans les annales des performances des jazzmen, toutes époques confondues.

Les breaks du colosse

Très exigeant avec lui-même, Sonny Rollins connaît cependant la période que traversent tous les perfectionnistes. Estimant qu’il a fait le tour du répertoire et qu’il n’arrive plus guère à évoluer, il choisit de se retirer de la scène le temps de retrouver un souffle et une inspiration. Celle-ci ne tarde pas et, en 1962, il revient avec The Bridge, changeant de maison de disques au passage. Le succès est immédiat : jamais un disque de Sonny Rollins ne se vendra mieux que cet album marquant le grand retour sur les planches d’un jazzman talentueux, mais que le grand public croyait rangé des voitures. Fausse impression, car en bon stakhanoviste qu’il est, il se sent obligé de rattraper le temps perdu et ce ne sont pas moins de six albums qu’il enregistre pour la seule année 1962, rameutant parfois les anciens camarades, comme Billy Higgins ou Ornette Coleman à la rescousse pour quelques participations de prestige.

Louvoyant entre les labels Bluebird et RCA, Sonny Rollins s’avère un véritable boulimique de la composition et de l’enregistrement tout au cours des années 1960, comme s’il lui fallait compenser ses trois années de « blanc » dans sa carrière. Par ailleurs, l’artiste entame plusieurs tournées aux Etats-Unis et en Europe et se produit dans la plupart des festivals spécialisés comme celui d’Aix-en-Provence en France, dont est tiré un live.

Mais tant d’activité lui pèse est, dès la fin de la décennie, Sonny Rollins décide de faire un second break dans sa carrière, persuadé, encore une fois, qu’il n’a plus rien à proposer au monde de la musique. Durant ces quelques années de silence radio, Sonny Rollins voyage et surtout, commence à s’intéresser aux cultures exotiques et orientales, particulièrement hindoues, soufies et bouddhistes. Initié au yoga, le saxophoniste trouve dans les pratiques de relaxation venues d’Extrême-Orient la sérénité nécessaire à une reprise de ses activités musicales. Toutefois, sa nouvelle inspiration se rapproche davantage du rhythm’n’blues et de la pop que du jazz proprement dit, d’autant que l’époque s’y prête.

Le sommeil d’un monstre sacré

Tâtant occasionnellement du disco, de la pop, du funk, voire du rock, le musicien traverse les années 1970 avec candeur et nonchalance, enregistrant peu d’albums (quasiment aucune production personnelle entre 1966 et 1978) ou participant à divers combos tout en accompagnant également beaucoup d’artistes évoluant dans des registres très éloignés du jazz, comme les Rolling Stones, qu’il accompagne au saxophone sur l’album Tattoo You.

Musicien de studio plus que créateur, Sonny Rollins attend paisiblement que la fibre lui revienne en 1978 pour apparaître au premier plan sur l’album Don’t Stop the Carnival, opus live où il est accompagné de Billy Cobham, Donald Byrd ainsi que d’un orchestre présentant l’originalité de comprendre un certain nombre d’instruments électriques. Mais le stakhanoviste est fatigué, d’autant que l’âge le rattrape. Désormais vieilli et usé, Sonny Rollins est rattrapé par ses années de consommation excessive de stupéfiants et son énergie s’en ressent.

Son Solo Album en 1985 ne marque pas son grand retour, mais signale que l’artiste est toujours présent, bien vivant. S’il enchaîne quelques albums au cours de la seconde moitié de la décennie 1980, son rythme de travail est bien amoindri, ce qui n’ôte par ailleurs rien à la qualité de son œuvre. Sonny Rollins entame ainsi sa semi-retraite, n’en sortant qu’à l’occasion d’un boeuf avec quelques jazzmen de sa génération, ou à la demande de groupes de petits jeunes venus demander une participation à ce doyen respecté.

Comme beaucoup d’Américains, sa vie est bouleversée le 11 septembre 2001 ; et sans doute plus encore, puisqu’il habite dans un appartement du World Trade Center, qu’il parvient à évacuer à temps. Pressé par le temps, il n’emporte avec lui que son saxophone. Il participe quelques mois plus tard au grand concert en hommage aux victimes, enregistré à Boston.

Une série de concerts au Japon s’ensuit et confirme que le public international n’a pas oublié le saxophoniste. Sonny, Please, en 2006, est une rétrospective originale de la carrière de l’artiste, concrétisée l’année suivante par un live venant saluer les cinquante ans de carrière de l’un des derniers monstres sacrés du jazz.

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