Marc Lavoine

Naissance

6 Août 1962, France

Biographie

Marc Lavoine n’a rien d’un survivant. Ni fracassé, ni balafré, ni malheureux. A l’écouter, il serait donc un enfant de la chance comme dit la chanson. A moins qu’il ne nous cache la vérité. Ou qu’il ait oublié. Effacé quelques vilaines cicatrices et chassé une poignée de souvenirs vénéneux. Pour le savoir, il faut donc remonter le cours d’une vie et aller accoster sur les berges de l’enfance. « Car tous les chemins mènent ici » dit-il.

Marc, Lucien, Denis Lavoine est né à une époque où l’Essonne s’appelait encore la Seine-et-Oise. Où le Parti Communiste était au sommet et où les curés de campagne régnaient sur les dimanches. C’était le temps où entre les rouges et les noirs, il fallait choisir. Quitte à ce que chez les Lavoine, on partage.

Lucien, le père, postier cégétiste, lève le poing et vend l’Huma. Il pose même sur les affiches de propagande du Parti en dissimulant à moitié son visage. Quand Marc et son grand frère Francis le reconnaissent et lui demandent ce qu’il fait là, il répond qu’il est agent secret. Lucien Lavoine s’inventera ainsi une existence aventureuse et mystérieuse. Son fils Marc, dont le visage ressemble tant à celui du militant des affiches, en tirera un livre, « L’Homme qui ment ». 

Plus tard, Marc écrira un autre ouvrage dédié à sa mère, Micheline, qui elle ne croyait pas tellement en Marx mais plutôt en Dieu et en l’église. « Si tu crois, disait-elle à son fils, alors garde le pour toi ». Marc Lavoine n’a aucune crainte à répéter qu’il fut heureux. Aucune honte à affirmer qu’il l’est plus que jamais : « Avec moi la vie n’a jamais été méchante ».

Marc se souvient de chaque minute de son passé. De ses parents ; de son frère qui lui avait offert sa première guitare et qui partage avec lui une chanson sur ce nouvel album ; de la tante Ninette, directrice d’école qui avait épousé un Algérien alors que les deux pays se déchiraient ; de sa chambre à Wissous où le soir il apercevait les avions qui allaient se poser à Orly. Marc se souvient aussi de cette silhouette fulgurante dans son costume Saint-Laurent, ce type croisé rue Madame qui s’appelle Johnny Hallyday.

Marc Lavoine a 16 ans et il a fui l’école. Il préfère fumer des cigarettes sur le parvis de l’église Saint Sulpice, écouter les Sex Pistols et Bob Marley. Pour faire plaisir à son père, mais aussi parce qu’il a toujours cru que le monde pouvait être meilleur, il a vendu l’Humanité sur les marchés. A présent il apprend le métier de typographe sur une gigantesque machine Gutenberg. Il est doué mais pas assez passionné. Il ne sait pas trop ce qu’il veut mais il sait ce qu’il ne veut pas.

Pour quitter l’atelier, prendre à nouveau la fuite, il coince donc un jour son auriculaire sous la presse d’acier. Comme si ce petit doigt, bientôt écrasé, lui avait dit d’aller voir ailleurs. 

La vie d’artiste de Marc Lavoine débute ainsi dans un temple réservé aux célébrités, la salle rouge de l’Olympia. Il n’est pas sur scène. Il chemine entre les fauteuils et les strapontins. Il fait partie de la brigade des « A Votre Service ». Il a eu de la chance. Il a pris la place d’un garçon parti faire du théâtre, Jean-Pierre Bacri. Nœud papillon et blazer bordeaux, il place les spectateurs anonymes ou célèbres comme Aragon ou la Princesse Grace de Monaco. 

Pourtant, ce n’est pas côté salle que Marc Lavoine regarde. Ses yeux bleus, dans la pénombre, restent fixés sur la scène. Les stars de la chanson et du spectacle s’y succèdent : Harry Belafonte, Charles Aznavour ou encore - et surtout - Yves Montand. Le jeune placeur est subjugué par cet escogriffe surdoué…Il passera des heures à l’épier lors des répétitions où l’artiste déboule en peignoir blanc, chaussettes et chaussures noires, haut de forme et canne à pommeau. Montand qui danse et égrène sur scène les petits rien de nos enfances en fuite. 

C’était vert la menthe à l’eau. 
Et la glace à la pistache. 
Et le tablier nouveau. 
Et les parties de cache-cache 

Marc Lavoine connaît par cœur ces paroles. Combien de fois lui est-il arrivé de les fredonner ?

La suite appartiendra donc à l’envie de faire comme Montand et à quelques concours de circonstance que Marc Lavoine appellera « la chance ». 

On aime bien Marc dans la petite famille de l’Olympia. Paulette et Patricia Coquatrix et Jean-Michel Boris en sont les gardiens vigilants et attentionnés. Ils lui offrent donc une occasion unique de briller. Une audition dans la salle de billard où l’acoustique ne fait aucun cadeau, et où les prétendants peuvent disparaître en quelques minutes dans les oubliettes de la chanson. 

Marc Lavoine est beau, séduisant, amusant, généreux. Son inconscience est la marque de la jeunesse. Sa désinvolture est attachante. Dommage qu’il chante si bas pense sans doute Florence Aboulker qui a déjà découvert Patrick Juvet et Daniel Balavoine. 

Marc Lavoine chante bas comme si son timbre semblait à tout prix chercher la tragédie. Fabrice Aboulker, compositeur et fils de Florence, pourra sans doute mettre de l’ordre dans cette voix. « Quand on est jeune, on veut être différent. On ne veut surtout pas être ou faire comme les autres. Cela dure quelques années et puis un beau jour, on est soi-même ».

Marc Lavoine écrit donc un texte. Il fait le siège de Fabrice Aboulker pour que celui-ci compose une mélodie. Mais le compositeur a sans doute d’autres chats à fouetter. Alors Marc s’installe chez lui et dort sous son piano. Un matin, sans prévenir, et sans avoir vraiment lu le texte laissé par ce nouveau chanteur, Aboulker fait résonner quelques notes sur son piano. Marc Lavoine a 23 ans. Elle a les Yeux Révolver le propulse immédiatement au-devant de la scène. Disque d’Or. Il se souviendra toujours de la phrase de son professeur de français, Gérard Cadet, qui le guide encore, le rassure et le conforte : « Tu peux construire ta vie autour des mots ».

Le chanteur est toujours enthousiaste quand il parle de ses premiers pas. Apparu sur scène et à la télé dans la tenue du nouveau jeune romantique de la chanson. Le plus fragile des habits, car la jeunesse se ride au moindre souffle, et le romantisme se délave sous les averses du temps. Marc Lavoine ne renie rien, tout au contraire, mais il a tout de suite su qu’il faudrait emprunter d’autres chemins de traverse pour rester heureux. Et en vie. 

Il y aura donc au fil des années bien d’autres paroles, des duos imprévus et des mains tendues par le cinéma. Claude Chabrol, Frédéric Schoendoerffer, Pierre Boutron, Marc Esposito ou encore Tony Gatlif ont posé sur lui leurs ombres bienfaisantes. Tout comme Jean-Louis Trintignant. Ah Jean Louis Trintignant ! Quand il lui rend visite avec une bonne bouteille, c’est comme si Marc Lavoine était invité à un déjeuner du dimanche, par quelqu’un que tout le monde aimerait avoir pour père. 

Et tant de chansons ! Ces instants volés, ces minutes de vie, ces baisers et ces soupirs. Tant de Morceaux d’amour, comme l’artiste s’est plu a nommé un best of sorti en 2019. De la nostalgie, des visages derrière les gouttes des carreaux comme chantait Trénet et des destins qui se croisent…

Marc Lavoine, qui parlait très peu quand il était enfant, est guéri. Il est bavard, presque intarissable. Quand le silence le gagne, c’est pour observer la silhouette impériale de ce vieil homme qui quitte le restaurant ou parce qu’il est soudain amusé par un visage, troublé par le son d’une voix. 

Marc Lavoine n’est pas triste. Il ne cultive aucune nostalgie même s’il reconnaît qu’il pleure de plus en plus. Il ne sait pas vraiment pourquoi. Mais il n’est pas mécontent de verser ces larmes. « Les gens qui pleurent se ressemblent tous » dit-il.

Marc Lavoine porte des lunettes noires mais les enlève volontiers. Son regard bleu est conforme à celui mille fois photographié. Une étincelle amusée en plus. Un éclair d’argent vif et enjoué. Dans les miroirs du restaurant, c’est pourtant les yeux de sa mère qu’il croit apercevoir en se regardant. « C’est pour eux que je chante » affirme-t-il. 

On le croit. 

Même quand il était enfant, il ne savait pas mentir.

Jean-Alphonse RICHARD

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