Maurice Chevalier

Naissance

12 Septembre 1888, France

Biographie

Soixante-huit ans de carrière ! Alors que de nombreuses légendes de la chanson font figure de météores, la longévité de Maurice Chevalier laisse rêveur. Sans doute la devait-il entre autres à sa double casquette, grand écart entre son image française de « Français moyen » et celle internationale de « French lover ». De ce malentendu naît ce qui fut une manière d’universalité de Maurice Chevalier. Les jeunes français des années 1960 qui gardent le souvenir d’un papy désespérément franchouillard ne se souvenaient guère de l’aura de séducteur de Chevalier, tombeur gouailleur en France, classe parisienne incarnée outre-atlantique, mais toujours insubmersible. « Vous, les américains, vous admirez La Fayette et Maurice Chevalier, alors que ce sont les plus cons de tous les français ! » disait Jean-Paul Belmondo dans A bout de souffle. C’est peu dire qu’entre Chevalier et les jeunes branchés de l’époque s’était installée une certaine incompréhension : la résistance à toute épreuve du papy à canotier avait fini par rendre sa présence un peu lassante, mais l’étude de sa carrière suffit largement à expliquer son caractère insubmersible.

Né le 12 septembre 1888 à Paris, ou plutôt à Ménilmontant (« Ménilmuche » comme on disait alors), le futur monstre est issu d’une famille populaire : son père, peintre en bâtiment, ayant rapidement quitté le domicile conjugal, le petit Maurice sera surtout proche de sa mère d’origine belge. Obligé à 10 ans de quitter l’école pour travailler, il se frotte à divers emplois mais s’intéresse rapidement au spectacle.

D’abord attiré par le cirque, il doit abandonner sa vocation d’acrobate à la suite d’une blessure. Ne souhaitant pas renoncer au monde du spectacle, l’enfant choisit de se tourner vers la chanson et court rapidement les café-concerts et les salles de spectacle à la recherche d’engagements souvent chichement rémunérés. Maurice appuie ses effets humoristiques pour compenser une voix qui n’a rien de renversant et obtient quelque succès grâce à ses imitations.  Décrochant une audition publique au Casino des Tourelles, il commence à se faire un petit nom et adopte son costume archétypal de dandy « popu », à costume et canotier. Mais ses débuts sont laborieux et le tout jeune chanteur doit affronter plusieurs échecs avant de triompher en 1905 à l'Alcazar de Marseille.

Maurice Chevalier revient en vainqueur à Paris : désormais lancé, il entretient sa notoriété naissante en apparaissant dans des films muets et obtient en 1909 le premier rôle dans une revue des Folies Bergères. Fluet, il se fortifie par le sport, apprend les claquettes, devient un danseur hors-pair. Sa réussite professionnelle s’accompagne d’un appui sentimental de poids : le jeunot est en effet devenu le compagnon de la chanteuse Fréhel, reine de la chanson réaliste. Mais cette liaison s’avèrera à double tranchant : Fréhel, prisonnière de l’alcool et de la drogue, entraîne son jeune amant dans la consommation de stupéfiants, dont il ne parvient à se libérer qu’en coupant court à leur liaison.

Maurice Chevalier ne va pas tarder à se lier avec une autre reine du music-hall : Mistinguett, de treize ans son aînée, entame avec lui une longue histoire d’amour qui se doublera d’un partenariat à la scène. Le couple triomphe dans le numéro «La Valse renversante », aux Folies Bergères et « a Miss » achève de faire de son jeune amant, auquel elle apprend toutes les ficelles du métier,  une vedette accomplie. 

En 1913, Chevalier part faire son service militaire. Un an plus tard, la Première Guerre mondiale éclate : Maurice Chevalier est blessé et capturé. Prisonnier en Allemagne, il est libéré deux ans plus tard grâce à l’intervention de Mistinguett qui a su faire jouer ses relations et revient magistralement sur le devant de la scène. Le couple va au front soutenir le morale des troupes. En 1917, Chevalier devient la vedette du Casino de Paris et se produit devant des soldats anglais et américains, ce qui lui donne l’occasion de découvrir la culture anglo-saxonne. S’intéressant au jazz et au ragtime, il enrichit son répertoire et commence à penser à l’international, d’autant que son emprisonnement lui a donné l’occasion d’apprendre l’anglais.  Désirant apparaître comme autre chose que le « protégé de Mistinguett », il finit par rompre avec sa protectrice pour voler de ses propres ailes.

Au début des Années folles, Maurice Chevalier est partout et triomphe grâce aux chansons que lui écrit Albert Willemetz : « Dans la vie faut pas s'en faire » (1921), « Valentine » (1924). Le phonographe, désormais démocratisé, relaie ses succès auprès de la France entière. L’opérette Dédé (1922) est un triomphe qui l’amène à tenter l’aventure américaine : mais Chevalier échoue à exporter le spectacle à Broadway et rentre en France la queue entre les jambes. Revigoré par son nouveau mariage, il renoue rapidement avec le succès, mais n’a pas dit son dernier mot : les débuts du cinéma parlant lui donneront une nouvelle occasion de tenter sa chance à Hollywood, où son impossible accent frenchy des faubourgs passe paradoxalement pour le summum de la classe.

Entré sous contrat avec les studios Paramount, il se trouve même tenu par une clause de garder son accent français. Il tourne dix films aux Etats-Unis, dont le plus connu restera La Veuve joyeuse  d’Ernst Lubitsch (1934), qu’il tourne en double version, française et anglaise. Chevalier mène aux Etats-Unis une vie de star à part entière, son mariage ne résistant guère à une liaison avec Marlène Dietrich. En 1935, passé à la MGM où sa carrière américaine marque un peu le pas, Maurice décide de renouer avec le public français et fait salle comble dans des revues comme Paris en joie ou Amours de Paris. Les années 1930 le voient connaître ses plus gros succès, avec les chansons « Prosper » (1935), « Ma Pomme » (1936), « Ca fait d’excellents français » (1939), portraits de personnages croquignolets de la France d’alors ou odes à la joie de vivre et à la débrouillardise françaises.

Durant l’Occupation, Maurice Chevalier continue sa carrière : installé à Cannes avec sa compagne la danseuse juive Nita Raya, dont il aidera les parents à se cacher, il risque un retour dans la capitale occupée pour les besoins de la revue Bonjour Paris. Admirateur de Pétain (comme la majorité des français en 1940), il refuse l’offre des Allemands de se produire à Berlin ou sur les ondes de Radio-Paris, média collaborationniste. A la demande de Pétain, Chevalier se produit néanmoins en Allemagne dans un camp de prisonniers français, de manière tout à fait bénévole « just to entertain ze boys » et en échange de la libération de plusieurs détenus. Son attitude sera néanmoins jugée ambiguë par le Comité d’épuration et, en 1944, Chevalier est contraint de se cacher. Grâce au soutien de plusieurs personnalités artistiques et intellectuelles, il revient la même année sur le devant de la scène, entièrement réhabilité. Mais son image dans les pays anglo-saxons en souffre quelque peu et la Grande-Bretagne lui refusera pendant plusieurs années l’entrée sur son territoire.

Après une rentrée en 1945 sur la scène parisienne, Maurice Chevalier fait également son retour au cinéma, en tournant en Le Silence est d’or de René Clair, qui sera un grand succès de l’année 1947. Il fait également son retour sur la scène américaine, prouvant que l’approche de la soixantaine n’a en rien entamé son allant. Mais, après le nazisme, c’est une autre idéologie totalitaire qui va indirectement handicaper sa carrière : ayant signé l’appel de Stockholm, pétition initiée par le PCF contre l'armement nucléaire, Chevalier est catalogué par le gouvernement américain comme sympathisant communiste et se voit refuser pendant plusieurs années l’accès au territoire des Etats-Unis. Il continue de se produire dans le monde entier mais sa relation avec le public américain semble ternie, son come-back américain de 1955 ne remportant qu’un succès moyen.

Mais deux ans plus tard, Billy Wilder le relance en lui confiant l’un des rôles principaux de son film Ariane, avec Audrey Hepburn et Gary Cooper. L’année suivante, c’est Vincente Minnelli qui l’engage dans Gigi comédie musicale inspirée de Colette, où il se joint aux autres frenchies d’Hollywood Leslie Caron et Louis Jourdan pour incarner la classe et l’élégance française. Au milieu de la moisson d’Oscars remportés par le film, Chevalier se paie le luxe d’une récompense pour sa « contribution de plus d'un demi-siècle au monde du spectacle ».

En 1961, il reprend le rôle de Panisse dans Fanny , remake américain de la trilogie de Pagnol, honni en France mais adoré aux Etats-Unis qui ne s’offusquent guère de voir un Parisien archétypal jouer un rôle de Marseillais. Le « French lover » de Ménilmuche ne s’arrête plus : statufié de son vivant, littéralement dopé, boulimique de travail, il continue de publier à toute allure des volumes de souvenirs – qui donneront au total une autobiographie en dix tomes -, tourne au cinéma, se produit dans le monde entier, est reçu à déjeuner par le Général de Gaulle.

L’âge venant, Chevalier pense néanmoins à sa retraite, qu’il mettra en scène de manière spectaculaire : en 1967, il entame une tournée mondiale qui s’achèvera à Paris pour son quatre-vingtième anniversaire.  Après cette apothéose, Maurice se retire de la scène. Il meurt le 1er janvier 1972. Que l’on aime ou que l’on honnisse Maurice Chevalier et le cliché du français gouailleur et gentiment fantaisiste qu’il véhiculait en toute conscience, l’artiste n’en aura pas moins été l’une des images les plus endurantes et archétypales d’une certaine France à l’accent parigot délicieusement désuet. Plus qu’un véritable créateur ou un interprète indémodable (sa version de « Y’a de la joie » a davantage vieilli que celle de Charles Trénet et son accent outré a donné un gros coup de vieux à ses chansons en anglais), Chevalier était avant tout un personnage, dont le caractère endurant et l’image intemporelle ont pu survivre à ce que son répertoire peut aujourd’hui avoir de désuet. Survivant de la Belle-époque et des Années folles, Chevalier, à défaut d’être vraiment immortel, aura su d’une certaine manière incarner le passage d’un siècle.