Les Chaussettes Noires

Biographie

Chaussettes noires, bananes métalliques, dauphines Gordini : les années 1960 connaissent leur lot de formations yéyé, souvent éphémères du fait du jeune âge des musiciens et des obligations militaires de ces derniers. En dépit de quelques beaux succès, les Chaussettes Noires, qualifiés un peu à tort de « premier groupe de rock français », ne survivent pas à l’appel sous les drapeaux de leurs membres. La coupe para et le treillis, plus forts que la banane gominée et le perfecto... une autre idée du rock’n’roll !

France, années 1960. Une drôle de maladie secoue la jeunesse de l’Hexagone, pourtant adossée au plein emploi des Trente Glorieuses associée au paternalisme gaulliste. Une maladie qui pousse les plus jeunes zazous à arborer d’étranges constructions capillaires soigneusement entretenues à grands renforts de Pento (quand ce n’est pas, pour les plus pervers, des rouflaquettes), à se dandiner sur des musiques qui font « yéyé-yéyé » et à courir les « dancings » pour « lever des poulettes » ! Et puis, il y a ce type là-bas, aux Etats-Unis, qui se déhanche en beuglant des « Wop-bop-a-lula-a-lop-bam-boom » devant lequel toutes les filles semblent fondre d’extase. En tous cas, à l’époque sacré du « wack’n’woooll », il n’est d’adolescent qui ne se rêve en successeur d’Elvis Presley ou de Little Richard. Parmi les innombrables groupes qu’engendre la décennie, peu passent le cap de la fête de lycée ou du concert à la MJC locale. Les Chaussettes Noires sont, parmi ces pionniers, l’une des formations qui a connu les premiers temps et les premiers succès du rock français.

Le temps des copains

Comme beaucoup de groupes de l’époque, les Cinq Rocks sont avant tout une bande de copains réunis autour de deux agents d’assurance, rockeurs à leurs heures perdues, Claude Moine et Jean-Pierre Chichportich. Jeunes, mais ayant déjà un pied dans le monde du travail, ces deux passionnés de rock’n’roll, après quelques soirées passées au Golf Drouot, alors lieu de rencontre de toute la scène rock (un certain Jean-Philippe Smet y passe de temps à autre) se décident à monter leur propre groupe en compagnie de quelques amis de vacances rencontrés à Royan, dans le bungalow des parents du futur Johnny Hallyday. Le bassiste Aldo Martinez, les guitaristes Tony d’Arpa et William Benaïm se lient bientôt au chanteur Claude Moine et au batteur Chichportich pour former Eddy Dan et les Danners (Eddy Dan étant alors le pseudonyme « à l’Américaine » de Claude Moine. Il changera vite le « Dan » en « Mitchell »).

Les reprises des chaussettes

Premières répétitions, premiers passages sur la scène de quelques brasseries, Eddy Dan et ses Danners deviennent bien vite les Cinq Rocks, puis, l’Amérique étant à la mode, les Five Rocks. Passionnés par cette nouvelle musique, leur stratégie artistique consiste à reprendre en français les grands succès d’outre-Atlantique, quitte à perdre un peu en classe au passage. « You Talk Too Much » de Joe Jones devient donc « Tu parles trop » et c’est ce titre que Barclay accepte de produire en 1961. Une première production qui fait tout d’abord hurler le groupe de bonheur avant que le hurlement ne se transforme en colère rageuse, car, en catimini, Barclay a décidé de faire sponsoriser la formation de Claude Moine par une marque.... de chaussettes (Stemm, en l’occurrence) et, afin de faciliter la pénétration publicitaire radiophonique, les Five Rocks ont été rebaptisés à leur insu Les Chaussettes Noires par les exécutifs de la maison de disques. Une fois la rage passée, les cinq garçons dans le vent acceptent, avec sagesse, leur nouvelle raison sociale. Exit les Five Rocks, ce sont désormais les Chaussettes Noires qui partiront à travers toute la France, lors d’une grande tournée rock’n roll organisée par Europe 1, aux côtés de Johnny Hallyday.

Les Chaussettes Sauvages

Après les succès de « Tu parles trop » et « Be Bop A Lula », c’est « Daniela » qui casse la baraque... au propre comme au figuré, car le concerts des Chaussettes Noires deviennent le refuge des blousons noirs qui profitent des shows pour se battre et ruiner les salles de spectacles à tel point que la police doit intervenir à plusieurs reprises. C’est la période la plus intense pour Eddy Mitchell et ses musiciens qui sortent 45-tours sur 45-tours. « Eddy, sois bon », « Madam, Madam », « Dactylo Rock », « Le Twist du père Noël » et « Peppermint twist » sont les grands succès des années 1961 et 1962. Pas moins de trois albums 33-tours voient également le jour pendant cette période : 100% Rock, Rock and Twist et le dernier – au titre peu modeste mais réaliste –, 2.000.000eme Disque des Chaussettes Noires sont autant de compilations de rock à la française qui viennent alimenter les mange-disques des boums lycéennes et étudiantes.

En dépit de la conduite pourtant sage de ces gentils voyous, les Chaussettes Noires deviennent, dans l’esprit d’une certaine frange de la population, synonymes de jeunesse violente, d’« Apaches », de sauvageons et de racailles avant l’heure. Barclay, heureux du succès de son groupe, boit du petit lait en profitant des débordements du public des Chaussettes Noires qui constituent autant de publicité tapageuse (c’est le cas de le dire) pour un produit de sa maison. Produit des plus rentables, d’ailleurs, puisque les Chaussettes Noires participent à la bande originale de Comment réussir en amour, de Michel Boisrond (avec Dany Saval et Jean Poiret) et Les Parisiennes, film à sketches de Claude Barma et Marc Allégret (avec… Dany Saval et Jean Poiret) dans lequel les membres du groupe jouent leur propre rôle en compagnie de Johnny Hallyday. Quant à Eddy Mitchell, qui prend beaucoup de plaisir à jouer, cette première expérience d’acteur lui ouvre les yeux sur une future vocation.

Salut les bidasses !

Mais les contingences militaires rattrapent les membres du groupe qui, les uns après les autres, sont priés de troquer leurs chaussettes noires contre de solides paires de rangers. Chichportich d’abord, en 1961, Eddy Mitchell, puis le saxophoniste Mick Picard en 1962. Si les manquants sont remplacés discrètement par d’autres musiciens, l’absence de Mitchell est cependant un véritable trou dans les Chaussettes, dur à faire avaler au public, et celui-ci doit revenir lors de ses permissions pour assurer une date de concert ou un enregistrement studio de ci de là. C’est à cette époque qu’il enregistre son premier disque solo, « Mais reviens-moi ». Lâchés par Eddy Mitchell, les autres membres du groupe se voient obligés de compenser la perte de leur leader vocal par l’enregistrement d’un disque instrumental, « Pow-Wow » en 1963, puis de le remplacer par Vic Laurens pendant son séjour à la caserne. Une situation pas très saine qui sème vite la discorde entre les membres du groupe et que Barclay a de plus en plus de mal à arbitrer. La rupture est finalement consommée et Eddy Mitchell part de son côté, entamer une carrière solo. Les Chaussettes Noires, qui ne sont plus que trois (Paul et William Benaïm en compagnie d’Aldo Martinez) n’enregistrent que deux disques en 1964 avant d’annoncer leur séparation définitive.

Pionniers du rock’n’roll hexagonal, forts de plus de deux millions de disques écoulés, les Chaussettes Noires ont surtout gardé de leurs quatre années d’existence une réputation de bad boys qui peut faire sourire aujourd’hui. S’ils ont été avant tout un groupe d'adaptations de chansons américaines, les titres des Chaussettes Noires ont également été repris par toute une génération d’apprentis rockers (au premier rang desquels, le fictionnel, mais emblématique, Ricky Banlieue et ses Riverains, le groupe créé par Frank Margerin dans sa bande dessinée Lucien). Des chaussettes reprisées... la grande mercerie du rock’n’roll avait de beaux jours devant elle.