Charles Trenet

Nom de naissance

Louis Charles Augustin Claude Trenet

Naissance

18 Mai 1913, France

Biographie

Figure tutélaire de la chanson française du vingtième siècle, Charles Trenet laisse une œuvre riche et novatrice à de multiples égards. Le poète, véritable « Fou chantant » a incarné à sa manière la pérennité d’une certaine chanson enrichie d’influences swing et jazz, la dotant d’une foule de classiques dont fait partie l’universel « La mer ». Doué d’une résistance physique confondante, il ira jusqu’à brûler les planches à plus de 80 ans.

Fils d’un notaire, Charles Trenet voit le jour le 18 mai 1913 à Narbonne. Sa vie familiale est marquée par l’absence et la séparation : son père est mobilisé durant la guerre de 14-18, puis ses parents divorcent en 1920. Il passe son enfance tiraillé entre deux foyers mais c’est à Narbonne, dans la maison maternelle, qu’il puise ses plus beaux souvenirs et l’inspiration de nombreuses chansons.  Bien qu’ayant longtemps été séparé de son père, le petit Charles aura hérité de son tempérament artistique ; le notaire Lucien Trenet était en effet un violoniste de talent. En 1926, il est très marqué par la rencontre du poète perpignanais Albert Bausil, ami de son père. L’adolescent développe au contact de Bausil et de son entourage le goût des farces, des canulars et de l’art sous toutes ses formes. Il se met à peindre, commence à écrire et publie des poèmes dans Le Coq Catalan (en signant sous pseudonyme ou de son seul prénom pour ne pas embarrasser sa famille).

Placé pendant plusieurs années dans un collège religieux, il souffre durant de longs mois de l’absence de sa mère et de l’isolement. Finalement renvoyé du lycée à l’âge de quinze ans, il commence à s’intéresser au théâtre et à la peinture, réalisant son premier vernissage. En 1930, toujours attiré par les métiers du spectacle, il arrête définitivement ses études pour devenir accessoiriste dans un studio de cinéma à Joinville-le-Pont. Installé en Île-de-France, il fait connaissance avec la vie artistique de Montparnasse tout en continuant d’écrire articles et poèmes pour Le Coq Catalan, dont il est le correspondant parisien.

Un jour de 1932, parti écouter du jazz au « College Inn », il fait la connaissance du pianiste suisse Johnny Hess, qui deviendra son ami et son partenaire. Inspirés par Pills et Tabet, les deux camarades forment le duo Charles et Johnny, ou Trenet et Hess. Pendant trois ans, le duo parcours la France et se produit sur de nombreuses scènes. En 1936, Charles est appelé sous les drapeaux et se sépare de Johnny. Il va tenter de voler de ses propres ailes dès son retour à la vie civile : en 1937, il signe la chanson « Y’a d’la joie ! » ; Maurice Chevalier en fait un succès au Casino de Paris et a l’élégance de présenter l’auteur au public. Lancé par ce coup de pouce, Trenet se produit pour la première fois, seul sur scène, au Casino de Marseille.

En 1938, il obtient un triomphe à l’ABC et gagne son surnom de « Fou chantant » : aussitôt récupéré par le cinéma, il apparaît dans des films (La Route enchantée, Je chante). L’année suivante, il obtient le Grand Prix du disque pour sa chanson « Boum ! ». Chanteur, auteur, romancier, comédien, Charles Trenet est partout à la fois et charme le public par sa joie de vivre, la fantaisie de ses textes et sa gouaille dénuée de vulgarité. Sa verve parfois surréaliste contribue à démoder la chanson réaliste. Malgré son image de « gentil », l’homme peut avoir la dent dure et n’hésite pas à lancer un canular féroce en proposant une pétition pour l’ablation des cordes vocales de Tino Rossi. La guerre vient un temps interrompre son parcours : il passe un temps pour mort dans les bombardements et aura de sérieux ennuis avec la Gestapo, qui le soupçonne d’être juif, sur la base d’obscures dénonciations. De retour à Paris en 1941, Charles Trenet reprend ses activités et multiplie concerts, chansons et films. En 1942, dans le train qui le mène de Sète à Montpellier, il compose la chanson « La Mer », qu’il juge médiocre, mais qui, des années plus tard, ressortie des cartons et traduite en anglais, deviendra à sa grande surprise l’un de ses standards, comptant des milliers de versions notamment par des musiciens de jazz.

En 1944, des agents de la Gestapo lui tirent dessus : Charles Trenet devra subir une rééducation pénible, avant qu’un autre coup ne vienne du camp opposé. Soupçonné d’avoir collaboré, il comparaît devant le Comité d’épuration d’où il ressort totalement blanchi : il avait eu en 1941 le courage d’interrompre un engagement auprès des Folies-Bergère du fait de la présence de soldats allemands dans la salle, non sans avoir fait reprendre « Douce France » en chœur par le public, en présence des troupes occupantes. Ce titre rendu emblématique ne manquera pas d’être réutilisé par la suite à des fins politiques par des groupes de rock tel Carte de Séjour de Rachid Taha.

L’après-guerre voit Trenet se tourner vers l’international : il se produit d’abord, francophonie oblige, au Québec, avant de parcourir le continent américain du nord au sud au cours d’une tournée mondiale. Avec des triomphes comme « La Mer », «  Que Reste t’il de nous Amours ? » « Douce France », Charles Trenet s’affirme comme l’une des monuments de la chanson française. Bien qu’écarté des mouvements les plus « pointus » comme la vogue «existentialiste », il n’en garde pas moins une place particulière dans le cœur du public. En 1954, devant le succès grandissant de Gilbert Bécaud, Trenet contre-attaque en triomphant à l’Olympia, où il se produira à nouveau deux fois en deux ans. En 1957, c’est un nouveau tube avec « Le Jardin extraordinaire » qu’il compose dans un parc de Copenhague. Mais après les existentialistes, une nouvelle vague vient à nouveau grignoter la planète musicale : les yé-yés et les rockers, inspirés d’Outre-Atlantique, semblent destinés à ringardiser les chanteurs-poètes de l’ancienne génération. Les grandes salles se ferment quelque peu à Trenet, qui se retrouve exilé sur les planches des cabarets ; cela ne l’empêche pas de continuer à attirer les foules.

En 1963, cependant, c’est le choc : on apprend l’arrestation de Charles Trenet, sous l’accusation de détournement de mineurs. Appréhendé avec quatre jeunes gens à la suite d’une plainte anonyme, il est inculpé d’attentat aux bonnes mœurs et écroué avec son homme à tout faire, qui est pour sa part accusé de lui avoir servi de rabatteur pour des « parties fines ». Détenu un mois, il sera finalement condamné à un an de prison avec sursis. Le public découvre l’homosexualité de Trenet, qui semble avoir été victime d’un sombre chantage ayant mal tourné. Profondément affecté par cet épisode, il revient en 1965 avec un roman, puis retrouve en 1966 les planches parisiennes, avec un récital à Bobino. En 1971, c’est un nouveau grand retour à l’Olympia. Une nouvelle tournée mondiale l’année suivante puis, en 1975, les adieux : âgé de 62 ans, Trenet tire sa révérence en se produisant sur les planches de l’Olympia pour ce qui devait être son dernier concert. Quelques disques, un livre de souvenirs, puis c’est le silence : éprouvé par le décès de sa mère, il n’apparaît plus en public durant deux ans.

Un artiste comme Trenet n’était cependant pas destiné à s’éclipser bien durablement. Il faudra l’insistance d’un producteur québecois, Gilbert Rozon, pour le faire remonter sur scène : en 1983, à 70 ans, Trenet se produit au festival « Juste pour rire » de Montréal. C’est un triomphe et un nouveau déclic : le « Fou chantant », ragaillardi, retrouve le chemin des studios et des planches, et ne quittera plus guère le devant de la scène, animé d’une énergie que chacun s’accorde à trouver extraordinaire.

En 1987, il enthousiasme le jeune public du Printemps de Bourges, puis fête son jubilé en se produisant au Théâtre des Champs-Elysées, son grand retour sur une scène parisienne après treize ans d’absence. En 1988, il remporte un grand succès avec un récital de trois semaines au Palais des Congrès. C’est toute une nouvelle génération qui redécouvre avec plaisir un «chanteur à la papa » toujours vert bien qu’ultra-septuagénaire. Trenet innove et introduit dans ses chansons des sonorités moins nostalgiques, parfois presque rock. Il se paie même le luxe, via des festivals, de se faire connaître des pays qui l’ignoraient encore : la presse italienne s’extasie de découvrir au début des années 1990 ce « phénomène de 78 ans ».

En 1993, il fête ses 80 ans sur scène à l’Opéra-Bastille, et remet le couvert pour trois semaines  au Palais des Congrès. En 1996, il sort un album de nouvelles chansons. En novembre 1999, il donne son dernier récital à la Salle Pleyel : fatigué, il chante assis trois soirs de suite. Malgré un corps épuisé, l’artiste conserve la faculté de charmer une salle entière. Mais le temps l’a rattrapé : après une première attaque en 2000, qui conduira la presse à l’enterrer un peu vite, Trenet subit une nouvelle alerte et meurt le 19 février 2001.

Malgré le caractère fatalement inégal d’une œuvre foisonnante, Charles Trenet aura su, grâce à une vitalité des plus enviables, traverser les décennies en évacuant les scories de ses époques successives pour construire une œuvre à la fraîcheur intacte. Les chansons riches et enjouées de Trenet, sa voix dénuée du poids d’un accent ou d’une gouaille trop marquée, ont su ne pas vieillir pour constituer le meilleur des témoignages en faveur de la chanson française. Si l’homme Trenet, réputé maniaque et quelque peu caractériel, n’était pas forcément en adéquation avec son image de poète (Léo Ferré devait déclarer « Si l’homme avait été à la hauteur de son génie, j’aurais sans doute cru en Dieu ; mais on en est loin ! »), si une affaire de mœurs a entaché un temps l’image de l’amuseur, les ombres de sa vie personnelle n’ont pas éclipsé la portée de son œuvre.