Ray Charles

Nom de naissance

Ray Charles Robinson

Naissance

23 Septembre 1930, Albany, Géorgie, United States

Biographie

C’est un pic, une éminence, une légende : on le présente habituellement comme l’artiste qui a offert la Soul music au monde. Mais Ray Charles est surtout un carrefour, le lieu où s’entrecroisent Jazz, Rhythm ‘n’ Blues, Pop, Blues et Country. Etincelant de mille compositions deux décennies durant (les années 1950 et 60), et porté par un indéniable talent à édifier son propre mythe, ce merveilleux vocaliste, excellent pianiste et chef d’orchestre, reste, à l’instar de Nat King Cole, Frank Sinatra ou Elvis Presley, l’une des grandes voix de la musique populaire. Il a durablement influencé des artistes majeurs comme les Beatles ou les Rolling Stones.

L’enfance de Ray Charles

Fils d’Aretha et de Bailey Robinson, Ray Charles Robinson est né le 23 septembre1930, dans le comté d’Albany (Géorgie). Victime d’un glaucome à l’âge de six ans, il perd la vue : il prétendra très vite que ce handicap a surgi lorsqu’il a assisté, impuissant, à la noyade accidentelle dans une lessiveuse de son frère George. Sa mère désirant que son handicap ne l’empêche pas de connaître la réussite, il poursuit ses études à l’institution pour sourds et aveugles de Saint-Augustine (Floride). Outre le braille (textes et partition), il y apprend l’orchestration, et à jouer de plusieurs instruments (du piano à la trompette, en passant par l’orgue et le saxophone), y démontrant d’authentiques capacités de multi-instrumentiste. Son univers musical de prédilection se partage désormais entre Chopin, pour la musique classique, et Art Tatum, pour le jazz. Orphelin de père et mère dès quinze ans (à la fin de la guerre), ce travailleur acharné s’installe à Jacksonville (Floride), puis à Tampa, où il devient le pianiste – et seul musicien noir – des Florida Playboys. Il monte un trio en copie carbone de ceux de Nat King Cole ou Charles Brown, s’initie à tous les genres musicaux, et écume les clubs de la région. En 1948, rassemblant ses quelques économies, Ray Charles décide de quitter un état trop marqué par des drames personnels, et s’installe à l’autre bout du pays, à Seattle.

Les débuts au piano

Il enregistre deux années durant avec le Maxim Trio composé de Charles (chant, piano), Gisady McGhee (guitare) et Milton Garrad (contrebasse), une douzaine de 78-tours sur les labels Downbeat et Swingtime, dont le premier « Confession Blues » en 1949. Premiers artistes noirs à bénéficier d’un émission télévisée régulière incluant des annonceurs, les musiciens enregistrent en 1951 leur premier vrai succès avec « Baby, Let Me Hold Your Hand ». Ce premier disque à se hisser dans les classements Rhythm ’n’ Blues démontre, comme un triomphe en devenir, les capacités du chanteur à l’émotion musicale, et son sens du rythme, mais reste marqué par l’influence de ses maîtres.

Les tournées en compagnie du guitariste de blues Lowell Fulson (« Everyday I Have The Blues ») mobilisent le début des années 50. Puis Charles s’installe à La Nouvelle-Orléans, où il travaille en compagnie de Guitar Slim, notamment sur le hit « The Things That I Used To Do » pour Specialty en 1954, arrangé par ses soins sur lequel Ray Charles joue du piano. Avec le guitariste, il accompagne la chanteuse Ruth Brown, et signe un contrat avec la firme Swingtime. Ces rencontres, ces influences mutuelles, permettent, à celui qui n’est encore engagé que comme pianiste, de peaufiner un style en propre, construit autour d’emprunts au blues (la brutalité des allusions explicitement sexuelles), au jazz (la souplesse des rythmiques), et au gospel (la ferveur des atmosphères). Il abandonne alors une partie de son patronyme, craignant la confusion avec le grand champion de boxe Ray Sugar Robinson.

La période Atlantic

En 1952, la compagnie nouvellement créée Atlantic (fondée par deux jeunes frères, émigrés turcs et novateurs, Ahmet et Nesuhi Ertegun), rachète le contrat de Swingtime, et offre à Ray Charles de s’éloigner de ses modèles sophistiqués, jazz et swing, pour un contexte plus âpre et dansant. Les premières faces pour le label comprenent « Roll With Me Baby » (juin 52), « The Sun’s Gonna Shine Again », « Mess Around » et « Heartbreaker » l’année suivante.

C’est en 1954  que l’histoire s’écrit en majuscules, avec l’enregistrement de « I Got A Woman », longtemps clé de voûte des concerts de Ray Charles. Prédominance des cuivres entraînant la chanson dans la danse, voix bouleversante et immédiatement identifiable, ambiance fiévreuse en droite ligne des églises et temples fréquentés par le jeune Ray, principe d’un questions-réponses mis en place entre le chant et les instruments, et intervention percutante d’un saxophone en folie : « I Got A Woman » s’inscrit en trois courtes minutes au frontispice de la musique populaire. La chanson sanctionne également la mise en lumière du piano, et le retrait de la guitare, pourtant instrument-roi de l’époque (le pupitre ne résistera pas au départ de son grand ami le guitariste Mickey Baker). Elle mêle enfin désir sexuel et liturgie, comme si Ray Charles avait fait voler par-dessus les moulins les surplis des moines et nonettes. Il s’adjoint les Raelets, choristes noires (avec à leur tête Margie Hendrix, mais au casting changeant), qui feront beaucoup pour le dynamisme de ses prestations scéniques.

Faisant fi des critiques (ses pairs lui reprochent souvent sa confusion entre art religieux et art profane), Ray Charles peaufine sa recette d’un art éruptif, spontané et dynamique :  « Drown in My Own Tears » et « Lonely Avenue » (1956), « Yes Indeed ! » (1958) et « (The Night Time Is) The Right Time » (février 59) lui permettent de maintenir sa présence au cœur des pistes de danse, mais ne l’autorisent pas encore au succès populaire qu’il appelle de ses vœux. Il s’accorde, en compagnie de jazzmen renommés comme Milt Jackson (leur album commun Soul Brothers, 1958), plusieurs incursions dans le jazz traditionnel, ce qui démontre une curiosité intacte. La fin des années cinquante constitue en ce sens un tournant : certes, il triomphe au Festival de Newport (acquérant par là-même une légitimité dans l’esprit des fans de jazz, légitimité qui ne lui fera plus jamais défaut) ; certes, la reprise par Peggy Lee, et à l’usage du public blanc, de son tube « Hallelujah, I Love Her So », lui entrouvre les portes d’un triomphe interracial et intergénérationnel.

Mais le déclic proviendra d’une simple phrase rythmique jouée avec obstination et constance : « What’d I Say » et sa longueur inaccoutumée (deux parties pour une durée totale de près de six minutes), un solo de piano électrique propice à enthousiasmer le public blanc du rock’n’roll, une scansion héritée des lieux de culte, et, surtout, des chœurs féminins de chattes en chaleur, emporte tout sur son passage. Naturellement numéro un des classements Rhythm ’n’ Blues en juin 1959, « Wha’d I Say » est la première chanson de Ray Charles à se classer dans les dix meilleures ventes généralistes (n°6 du classement Pop). Accessoirement, ce sera l’un de ses derniers enregistrements pour Atlantic qu’il quitte avec l’album The Genius of Ray Charles (février 1960).

Les années 60

En effet, Ray Charles, mû par son souhait de conquête d’un marché plus global, ne souhaite plus être systématiquement connoté aux incontournables de la musique noire. Le label ABC-Paramount lui garantit à la fois l’ossature d’une compagnie internationale, le raffinement d’arrangeurs-maison (comme Quincy Jones), et, surtout, une totale indépendance artistique. Charles usera à merveille de ces paramètres pour écrire de nouvelles pages dorées de sa carrière : en 1960, il devient un chanteur référence du public moyen, et blanc, américain : « Georgia On My Mind » (il avouera plus tard n’avoir jamais mis les pieds dans l’état, et ne pas connaître de fille prénommée ainsi) le consacrera authentique chanteur populaire, et atteindra la première place des classements généralistes à l’automne.

Transformant l’exception en règle quotidienne, celui qu’on surnomme désormais le Genius (un surnom attribué par rien moins que Frank Sinatra) enchaînera dans cette glorieuse décade des pépites comme « One Mint Julep », « Hit The Road Jack » (repris en France par Richard Anthony sous le titre « Fiche le camp, Jack ») et « Unchain My Heart » en 1961. La même année, il s’associe à Betty Carter pour un album de duos soul (Ray Charles And Betty Carter). Puis « I Can’t Stop Loving You » (n°1 en 1962), invraisemblable sucrerie qui sanctionne l’abandon progressif de son public d’origine pour une audience internationale. Les deux volumes de Modern Sounds In Country Music (1962-63) arrivent au sommet des classements. On lui reproche de mêler country et soul (ce qui, pour un natif des états du sud des Etats-Unis, est un pléonasme), d’abandonner les Raelets au profit de choristes blanches, et de se montrer éclectique. C’est avoir peu de considération pour une époque où un artiste noir ne croisait que de rares opportunités de se faire connaître d’un large public. Et c’est oublier que cette deuxième partie des années soixante lui permet d’offrir quelques standards absolus de la soul, comme « Busted » (n°4 en 1963), « Crying Time » (1965) ou « Let’s Go Get Stoned » (1966), ou ses propres versions des succès des Beatles, « Yesterday » et « Eleanor Rigby » (1968).

Malheureusement, la période sanctionne également son addiction à l’héroïne, qui le tiendra éloigné de tous enregistrements une année durant. Cette situation le mènera d’ailleurs en 1964 à une spectaculaire arrestation publique, qui traumatisera l’opinion mondiale. Son retour (et son sevrage) célèbre le choix désormais délibéré de Ray Charles pour la pop music : il appartient alors en droit au Gotha du show-business international, inspirateur reconnu d’artistes comme Joe Cocker ou Van Morrison.

Crooner Ray

Les années 70 le voit participer au film des Blues Brothers, tourner des spots publicitaires pour une boisson gazeuse, enregistrer un album de soutien au mouvement pour les droits civiques des Noirs (A Message To The People, 1972), reprendre des classiques country et des standards de comédies musicales pour son label Tangerine, puis RCA (Porgy And Bess, avec Cleo Laine, en 1976), et répondre favorablement aux demandes de concerts émanant des lieux les plus huppés de la planète. Le « Genius » a désormais rejoint le camp des crooners. De retour sur le label Atlantic en 77, Ray Charles enregistre quelques albums entre country et variété, fait même un duo avec Clint Eastwood sous le nom de Texas Opera Company (« Beers To You » extrait du film Any Which Way You Can, 1980).

Dans les années 80, Ray Charles honore un duo avec Cab Calloway (« Shake You Tail Feather »), et, entre deux galas prestigieux, une poignée d’albums pour la marque Columbia. Sur Wish You Were Here Tonight ? (1983), il chante le titre en trio avec George Jones et Chet Atkins. En 1985, il enregistre, aux côtés de Stevie Wonder, Michael Jackson, et une multitude d’autres artistes réunis sous la bannière USA For Africa, le tube caritatif « We Are The World ». Jaloux de ses prérogatives et de ses…émoluments, il rachète les droits de l’ensemble de ses albums parus chez ABC. La même année, il mêle sa voix à celles de Mickey Gilley (« It Ain’t Gonna Worry My Mind »), Willie Nelson (« Seven Spanish Angels », n°1) et Hank Williams Jr. (« Two Old Cats Like Us ») pour l’album de duos Friendship.

Alors que les signes discographiques de sa carrière s’espacent, il accepte l’invitation de Billy Joel pour « Baby Grand » (1987), avant de jouer les invités de luxe au cinéma (Moonlighting et St. Elsewhere). Il réalise en 1988 l’exploit d’être, en France, à la fois présent par une chanson de Michel Jonasz (simplement intitulée « Ray Charles »), et en tête des hit-parades, grâce à son duo avec Dee Dee Bridgewater (« Precious Thing »). L’album Just Between Us (1988) et le titre « I’ll Be Good For You »  (avec Quincy Jones et Chaka Khan, 1990) remettent le « Genius » sous les feux de l’actualité.

Ray au panthéon

La dernière partie de sa carrière sera consacrée à des duos enregistrés en compagnie d’INXS (« Please (You Got That) » en novembre 93) ou B.B. King. Après deux albums pour Warner (Would You Believe en 90, My World en 93), Ray Charles signe sur le label Qwest Strong Love Affair (1996). S’il a alors pratiquement disparu des hit-parades (à la notable exception des classements country), l’émotion de ses concerts reste vivace, qu’on souligne ses frasques et exigences de star, ou son sens du travail bien fait, sinon avec passion, du moins avec professionnalisme.

Après une intervention chirurgicale conséquente d’une affection du foie en 2003, et avoir interrompu une dernière tournée (mars 2004) pour raisons de santé, Ray Charles participe comme consultant à une excellente biopic réalisée par Taylor Hacford (Ray - il y est incarné par le consciencieux Jamie Foxx). Ray Charles s’éteint le 10 juin 2004 à son domicile de Beverly Hills (Californie).

Ses deux derniers albums Genius Loves Company (2004) et le posthume Genius & Friends (2005) sont constitués de duos avec quelques fans et amis (James Taylor, Elton John, B.B. King, Van Morrison) et des représentants de la nouvelle génération du swing (Norah Jones, Diana Krall), le second volume faisant la part belle aux stars du R&B version moderne (Mary J. Blige, Alicia Keys, Angie Stone, John Legend).