The Moody Blues

Naissance

4 Mai 1964, England

Biographie

Comme pour un groupe des années 60 tel que Procol Harum et une poignée d'autres, les Moody Blues ne sont reconnus que pour une seule chanson à succès, occultant ainsi non seulement leur carrière discographique entière, mais tout un pan de l'histoire de la rock music dans la mémoire collective. Le tube mondial « Nights In White Satin » est en effet un « slow » ultra célèbre qui a ému la planète début 1968. Après des débuts dans la mouvance encombrée du rhythm 'n' blues de la pop anglaise, les musiciens aujourd'hui sexagénaires ont rapidement évolué vers des pièces ambitieuses, très élaborées, posant ainsi les bases du rock progressif avant l'heure (dénommé art rock à l'époque). Gros vendeur d'albums en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis jusque dans les années 80 (Days Of Future Passed en 1968, Every Good Boy Deserves Favour en 71, Seventh Sojourn en 72, ou Long Distance Voyager en 1981), le groupe est l'une des plus anciennes formations de la première vague britannique des années 60 toujours en activité, malgré quelques changements de personnel au cours de sa carrière.

Presque tous originaires de Birmingham en Angleterre, la première version des « Moody Blues (nom emprunté à un thème de Duke Ellington et à celui de la bière locale Mitchell & Butler) en mai 1964 est composée pour les plus anciens de vétérans de la scène de la ville : Denny Laine (chant & guitare), Graham Edge (batterie), Ray Thomas (harmonica, flûte, saxophone & chant), Clint Warwick (basse & chant) et leur aîné Mike Pinder (chant & claviers). Leur premier manager est Tony Secunda, une figure du rock britannique qui deviendra célèbre en ruinant les Move et en propulsant Marc Bolan au sommet, qui leur obtient un contrat avec Decca, déjà fort des Rolling Stones. Le premier 45 tours « Steal Your Heart » en août est un échec trois mois plus tard, mais leur reprise immédiate du titre américain de Bessie Banks produit par Lieber & Stoller, « Go Now ! », une ballade musclée, est n°1 en Grande-Bretagne en moins d'un mois, en décembre, considérablement aidé par l'un des tous premiers films vidéo promotionnels jamais réalisés. Cette rapide notoriété entraîne la sortie du premier album en juillet 1965, baptisé Go Now ! aux Etats-Unis, mais ignoré. Le groupe hésite entre reprises de blues, ballade pop et soul, et les compositions Laine/Pinder ne sont pas à la hauteur. Leur reprise enragée du bluesman Sonny Boy Williamson « Bye Bye Bird » est un petit hit radio en France en décembre, tandis que leur essai frénétique sur le « I'll Go Crazy » de James Brown de 1960 entraîne une réédition de la version originale aux Etats-Unis. Rod Clarke remplace Warwick en juillet 1966 (lequel est décédé le 15 mai 2004), et « Boulevard de la Madeleine » moitié en français moitié en anglais, qui célèbre les arpenteuses du trottoir de l'époque de cette artère parisienne, passe inaperçu et n'est incluse dans aucun album original. Après ce nouvel échec, l'orchestre se sépare brièvement en octobre puis est entièrement remanié un mois plus tard, autour du trio fondateur Pinder, Thomas et Edge : John Lodge remplace Clarke et le talentueux et plus jeune Justin Hayward, Denny Laine, parti lui plus ou moins en solo et qui co-fondera Wings avec Paul McCartney en 1971. Les trois 45 tours suivants en 1967 sont encore des échecs, les finances sont débitrices et il est temps d'abandonner leur formule stérile et trop concurrentielle.

Des nuits de satin blanc

Mike Pinder utilise le mellotron alors inconnu dans le rock (instrument dérivé de l'orgue Hammond, qu'il a contribué à assembler, et que les Beatles n'useront qu'en 1967), et il est décidé de donner plus d'importance aux contributions de Ray Thomas. Tandis que leur maison de disques, voulant promouvoir les 33 tours stéréo « haute fidélité » (toutes les productions de cette époque étaient encore monophoniques, les mixages stéréo plutôt « artisanaux » étant proposés en deuxième option) les « oblige » à élaborer une ?uvre de rock symphonique basée sur La Symphonie du Nouveau Monde du compositeur classique tchèque Antonin Dvorak, leur enjoignant le producteur « maison » Tony Clarke, qui deviendra d'ailleurs presque un membre du groupe à part entière. Days Of Future Passed enregistré avec le London Festival Orchestra paraît en novembre 1967 et est considéré comme le premier album de rock symphonique de l'histoire. Il dépeint la journée d'un homme dans la société civilisée du XXème siècle, est un joli succès commercial, surtout aux Etats-Unis, et contient la fameuse ballade « Nights In White Satin » devenue un classique, et qui fait la fortune de son créateur Justin Hayward, bien servi par ses « I love you, yes I love you » répétés à l'infini et la partie de flûte de Ray Thomas. « Nights In White Satin » est même n°2 en France en mars 1968, coincé entre Sheila et Otis Redding... La formule est trouvée et fonctionne, faite d'arrangements pop et classique, de mélodies simples, de duos claviers + flûte et d'une production raffinée, très sophistiquée même pour l'époque, où l'écho et la réverbération dominent.

Inspiré par George Harrison, Ray Thomas introduit le sitar dans sa palette, Graham Edge se concentre sur les textes, dont les poèmes sont lus par Mike Pinder au début de quelques albums, ou récités à l'intérieur. Deux « concept albums » se succèdent rapidement, dont leur premier n°1 en Grande-Bretagne, On The Treshold Of A Dream, en mai 1969, où Mike Pinder opte pour une version modernisée du mellotron, le chamberlin, ancêtre du synthesizer, qu'il utilise le 30 août au deuxième festival de l'île de Wight. A l'occasion de la sortie du cinquième album à la fin de l'année To Our Children's Children inspiré par la « conquête » de la lune, les « Moodies » créent leur propre label, Treshold Records ; ses morceaux sont inaugurés lors du concert du 12 décembre 1969 au Royal Albert Hall. Le succès du plus sommaire « Question » (relatif à la guerre au Vietnam avec son refrain : « pourquoi n'avons-nous jamais de réponse quand on frappe à la porte, avec nos millions de questions sur la haine, la mort et la guerre ? » est suivi de l'album A Question of Balance, tout aussi dépouillé lui aussi, afin de simplifier leurs prestations scéniques, comme lors de leur apparition au festival de l'île de Wight encore le 30 août, en 1970, où ils interprètent évidemment « Nights In White Satin » (cf. le documentaire Message to Love paru en 1997). Extrait de cet album encore n°1 en Grande-Bretagne, « Melancholy Man » est un tube seulement en France, où le 45 tours est n°5 en avril 1971, trois mois avant Every Good Boy Deserves Favour (dont les initiales sont un moyen mnémotechnique pour retenir la clef de sol), lui aussi n°1 en Grande-Bretagne et n°2 aux Etats-Unis. Enfin, après leur premier album n°1 obtenu le 9 décembre 1972 sur ce continent avec Seventh Sojourn, et les succès : de la réédition de « Nights In White Satin » en Angleterre et surtout aux Etats-Unis où il avait été ignoré cinq ans auparavant, et du simple écrit par John Lodge « I'm Just A Singer (in a rock 'n' roll band) » les cinq musiciens, devenus riches et leur orchestre célèbre, décident de suspendre celui-ci, sans pour autant se séparer.

Tous les cinq effectuent leurs propres tentatives, à l'aide du label Treshold (sauf Hayward). Graham Edge ouvre le feu le premier en juillet 1974 avec son projet parallèle le Graham Edge Band, en compagnie de Mickey Gallagher (ex-Animals) et d'Adrian et Paul Gurvitz (exs-The Gun et Three Man Army) : un premier 45 tours en juillet 1974 suivi de deux albums plutôt rock, Kick Off Your Muddy Boots en septembre 1975 et Paradise Ballroom en avril 1977 passent inaperçus. Si le nom des Moody Blues est célèbre, ceux des musiciens sont restés anonymes du grand public et la notoriété qu'ils supposent posséder ne les favorisent pas. Ray Thomas ne trouve pas non plus d'écho en été 1975 avec From Mighty Oaks ni en juin 1976 avec Hopes, Wishes and Dreams. Les acrobaties aux synthés d'un Mike Pinder éxilé et marié en Californie en avril 76 (The Promise) et l'ennuyeux Natural Avenue de John Lodge en février 77 sont aussi laissés pour compte. Justin Hayward et John Lodge sont plus heureux en duo avec Blue Jays en avril 1975 et leur formidable tube « Blue Guitar » produit par 10 CC. Hayward étant le plus prolifique et le plus chanceux des cinq car il continuera en solo après la re-formation des Moody Blues. Son Songwriter de février 77 vaut le détour, ainsi que sa participation au projet multi-artistes de Jeff Wayne en 1978 War Of The Worlds duquel son 45 tours « Forever Autumn » est n°5 en Grande-Bretagne en juillet (il contribuera à une nouvelle version scénique de War Of The Worlds en 2006 et 2007). Afin de perpétuer néanmoins la popularité du groupe, Decca publie en novembre 1974 un « best of » (This Is The Moody Blues), puis en avril 1977 un double album « live » enregistré le 12 décembre 1969 au Royal Albert Hall, augmenté de cinq titres en studio inédits : Caught Live + 5, mais il s'avère leur premier échec commercial depuis dix ans. Néanmoins, il est le premier à ne pas être gratifié de l'une des hideuses illustrations de pochette de Philip Travers.

Les cinq acolytes se retrouvent début 1978 et accouchent dans la douleur d'un Octave bien faible, avec un Mike Pinder si réticent qu'il quitte le groupe avant la fin des séances (il cite son mellotron dans « One Step Into The Light »), obligeant Justin Hayward et John Lodge à assumer les parties de claviers pendant la tournée de promotion, avant d'engager le musicien suisse Patrick Moraz (ex-Yes) sur la base d'un musicien complémentaire et non membre permanent, ayant été convenu que Mike Pinder participerait à nouveau aux futurs enregistrements. Cette convention bâtarde engendrera une dispute légale et un procès ultérieurs ; Moraz étant confirmé dans ses fonctions, Pinder tente par voie judiciaire d'empêcher la publication de Long Distance Voyager en mai 1981, sans y parvenir, et il retourne définitivement en Californie. L'album est un gros succès international et Mike Pinder le voit parvenir n°1 en album aux Etats-Unis lui aussi, le 25 juillet 1981, neuf ans après Seventh Sojourn. Mais cette embellie n'a qu'un temps ; la musique a changé, le punk et la new wave ont produit des ravages sur les groupes rock de la précédente génération et les Moody Blues semblent passer de mode. Le groupe a pourtant épuré sa formule, abandonné son côté souvent pompeux et abordé une démarche plus électronique, mais les chansons ne font plus recette. Toutefois, en avril 1986, la composition nostalgique de Justin Hayward « Your Wildest Dreams » envahit les ondes américaines, et ouvre la voie au « chant du cygne » des Moody Blues, l'album Other Side Of Life produit par Tony Visconti (connu surtout pour sa collaboration pérenne avec David Bowie), qui produit également l'album suivant, et une partie de Keys Of The Kingdom en 1991 ; malgré l'intensité de son intervention à la flûte dans « Celtic Sonant », le rôle de Ray Thomas est réduit en studio depuis un moment à sa portion congrue, et il ne peut briller qu'en concert sur les morceaux des années 60 et 70. Vers la fin de son enregistrement, Patrick Moraz dévoile lors d'une interview son dépit face au manque d'ambition musicale de ses partenaires et aux refus essuyés par ses contributions à l'écriture. Il est aussitôt remercié par les fondateurs et il leur intente un procès pour non-paiement de droits d'auteur en tant que membre du groupe depuis presque quinze ans, lequel dément qu'il l'ait été, engagé seulement comme musicien de séances ! Moraz remporte le procès auprès d'une cour californienne, mais n'en retire que de la petite monnaie au lieu des millions de livres réclamés.

Trente ans après son apparition, le groupe a beaucoup perdu avec le départ de Mike Pinder, et le tandem Bias Boshell/Paul Bliss censé reproduire les parties de claviers. Les Moody Blues sont devenus une attraction de troisième plan réservés aux nostalgiques. Après un concert-fleuve dans l'amphithéâtre naturel à Red Rock dans la grande banlieue de Denver, donné avec un grand orchestre classique le 9 septembre 1992 pour le 25ème anniversaire de la sortie de Days Of Future Passed (documenté dans le DVD A Night at Red Rocks with the Colorado Symphony Orchestra), vient le temps des prestations nostalgiques, d'une recrudescence de compilations, et des anthologies/ rétrospectives. Le groupe passe alors par une deuxième période sabbatique durant laquelle Mike Pinder de son côté commet un deuxième album solo en 1994, Among The Stars, pour se reconvertir ensuite dans la world music pour fonds musicaux d'histoires enfantines. Enregistré en Italie avec un nouvel organiste, Danilo Madiona, les Moody Blues refont surface en 1999 avec un Strange Times romantique et sucré, se replongent dans l'atmosphère du Royal Albert Hall devant un auditoire plutôt âgé (Hall of Fame), et tentent une incursion dans la musique instrumentale pour le cinéma. La retraite sonne pour le talentueux Ray Thomas fin 2002, et c'est en quatuor que les Moody Blues proposent fin 2003 un curieux et intéressant « album de Noël » contenant une version plutôt iconoclaste du « Happy Christmas (The War Is Over) » de John Lennon... En octobre 2005 on les voit avec étonnement au Ryman Auditorium à Nashville jouant avec des musiciens spécialistes du genre, des versions « bluegrass » de leurs hits. Désormais réduits au trio Justin Hayward, John Lodge et Graham Edge, les Moody Blues se produisent à l'occasion avec des musiciens additionnels, annonçant en janvier 2007 la préparation d'un nouvel album et une tournée britannique fin 2008, avec un détour inévitable par le... Royal Albert Hall. Sans prétendre que la musique des Moody Blues exerce encore aujourd'hui une influence quelconque sur les groupes actuels, il est indubitable que le concept et la popularité du « rock progressif » dont ils ont été les premiers pionniers il y a... quarante ans, leur doit beaucoup.